Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 18)

Dans les limbes
5 min readMar 15, 2019

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Un épisode moins léger, une utopie, un tuto, c’est vous qui voyez.

Ces derniers jours, nous avons pris des giboulées et des rafales à plein nez, la concentration est intense pour ne pas glisser, tenter de voir entre les grosses gouttes qui cachent l’horizon. La tranquillité relative de nos chemins urbains s’est achevée avec le retour des vacanciers d’hiver. Ils ont ramené leurs encombrantes automobiles, avec pour certaines leurs pneus neiges pas encore échangés.

La visibilité dans l’habitacle de leur salon ambulant est proche du néant, réduite à rien derrière la meurtrière d’une visière de casque intégral.

C’est fort de son bon droit à circuler sur un espace piéton et cycliste qu’un crétin à scooter, agacé par le hurlement d’effroi de l’un des nôtres qui manquait de se faire rouler dessus, n’a rien trouvé de mieux que de le rouer de coups.
Il n’a pas réussi avec son engin, il en est venu aux mains.

La colère m’a prise, l’envie de s’armer, de faire justice devant la défaillance de ceux qui doivent nous protéger, et le dégout m’ont submergés.

Merci infiniment à ceux qui était là le lendemain matin, au lieu même du délit, à l’heure où chacun file déposer ses enfants, part travailler sans tarder. Il faisait froid, nous avions besoin de partager nos sentiments. Têtes et vélos connus sur les pistes cyclables, nouveaux visages, rassemblés. Nous avons pensé très fort à Brice qui tente de se remettre le corps et les idées en place. Et puis pacifiquement et fermement nous avons entrepris de parfaire l’éducation des occupants illégaux et égoïstes du lieu.

On s’est donné du courage, ensemble, pour affronter chaque jour à nouveau la veulerie de nombreux concitoyens motorisés.

J’ai filé près de République retrouver mes collègues venus de toute la France, concentré sur un itinéraire que je ne pratique pas souvent, l’esprit encore avec les autres sur cette place. La colère s’est un peu estompée, laissant la place à la mélancolie.

Au soir, c’est précisément pendant toute l’heure de l’orage que j’ai fait le chemin du retour. Le vent me déporte violemment. Je fais le vide après cette journée. Je ramène mon esprit à l’effort du pédalage, aux épaules rentrées contre l’affront du froid, je rigole avec une cycliste qui se débat avec sa cape qui s’envole en l’absence de petites sangles pour les mains. J’ai le jean trempé d’avoir eu la flemme de sortir ma cape, et il me reste au moins quinze kilomètres avant de me sécher. L’apaisement arrive aux feux rouges, avec les regards croisés des autres cyclistes dégoulinants. Je me souviens des beaux moments qui nous ont fait choisir ce merveilleux moyen de se mouvoir.

Séché, un peu réchauffé je prends des nouvelles sur les réseaux, qui en cet instant sont véritablement sociaux. Ils prolongent la rencontre du matin, le besoin de partage.

Je m’attriste de lire que certains nous, courbent l’échine, n’osent plus faire remarquer aux auteurs de comportements dangereux leurs agissements criminels. La loi du plus fort envahit elle nos rues ?
Les caméras embarquées diffusent sur la toile des heures de films d’horreur.

Je ne peux m’y résoudre.

Nous ne pouvons nous retrouver chaque matin en tous les lieux où nous sommes menacés, et il nous faut affronter en face à face chacun d’entre eux.
L’octogone pour rappeurs décérébrés n’est pas plus ma solution. Non de peur, mais de raison. Çà ne change rien. Je ne veux pas les soumettre comme ils le font avec nous.

Le verbe est mon glaive, leurs peurs m’ont arme de dissuasion.

Aussi, quand il me prend de vouloir éduquer les malfaisants, je les renvoie à leur crasse bêtise. Il faut de l’énergie et de la vivacité pour gagner la joute oratoire du plus stupide des deux le temps d’un feu, cela demande de nombreuses répétitions pour trouver le mot, l’argument, la phrase qui touche leur seul neurone de citoyenneté logé loin du cerveau débranché, proche de l’orifice sur lequel ils sont assis. Au jeu du plus con des deux, je joue pour le plaisir, mais je laisse gagner.

Au sas vélo, c’est pratique, à l’arrêt à leur coté, de toquer la vitre avec un sourire, de pointer l’index vers un pandore imaginaire qui derrière eux a relevé leur plaque, tout en leur rappelant la sanction du portable au volant, ou de l’interdit de s’arrêter là. Conclure d’une bouche pincée, de la main qui s’agite devant soi, pour mimer une compassion d’enfant devant la bêtise d’un autre pris la main dans le pot, et tailler la route alors que le peu passe au vert, alors que l’idiot tente encore de voir l’uniforme imaginaire derrière lui.

En roulant sur la Coulée verte près de Catalogne, entendre vrombir un moteur alors que la file d’automobiliste est à l’arrêt, et zigzaguer pour s’assurer qu’il ne me dépasse pas avant d’arriver au candélabre à caméras.

Se retourner, pour laisser croire que je viens de le deviner, sentir sa colère derrière la visière, et bras tendus vers l’ objectif, lui hurler de ne pas oublier de sourire au photographe. Continuer de glisser le long du trafic arrêté, avec lui qui s’y range.

Je remonte vers le feu, sur l’infime bande cyclable qu’un magnanime édile nous octroie comme une aumône. Voitures arrêtées. C’est curieux au demeurant de voir ce moyen de locomotion aussi peu en mouvement.

Le scootard déboule entre deux autos, m’obligeant à freiner, et va se poser comme un seigneur sur le sas vélo, m’empéchant de me placer en sécurité.
Je le vois, fier de s’être placé en pôle position, devisant dans son téléphone et l’oeil rivé sur la pastille Valda que va bientôt recracher le feu tricolore. Dimanche, il se rappelle qu’il ira assister à une course de dragster. C’est dans cet instant précis, quand toute son attention n’est destinée à aller plus vite que plus vite, que j’arrive sur l’élan derrière lui.

Ma roue avant vient taper sa roue arrière, je me recule aussitôt, le regard perdu en coin pour ne pas perdre une miette des sueurs froides qui le parcourent. Sa superbe s’évanouit et il tente de voir derrière lui.

Je souris niaisement à l’arrivée de son éventuelle colère, coupée court par les klaxons des autos qui ont hâte de s’agglutiner au feu suivant.

Ils ne méritent pas mieux que ces leçons qui les renvoient à leurs peurs. Nous avons trop de choses plus belles à faire que de leur faire accepter leurs propres torts. La phase de déni est trop longue, leur fierté à s’assoir dans des tonnes d’acier ne les invitent pas à se reconnaître en dinosaures, à l’aube du cataclysme climatique.

J’aurai voulu leur expliquer, tenter de les raisonner, leur donner l’envie de véritables plaisirs, mais je me réjouis trop de ces instants jubilatoires et je file au vent que je provoque à la force de mes mollets.

PS : les élus municipaux se souviennent que nous voterons aussi dans pas si longtemps.

Vous avez raté l’épisode 17 ? Il est là

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