Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 12)
Mystère et boules de gommes
NDLR : source de l’étude d’où est tiré ce graphique (Etude)
L’automne nous est tombé dessus d’un seul coup. Cet été se présentait comme une éternité. Fin octobre, pour mener nos vélocipèdes, les bras et les jambes nues ont parfaitleurs bronzages. La nuit déjà tombée nous profitions de la douceur du vent qui caresse le poil. Jusqu’à ce matin, où subitement le climat reprit le cours plus normal de nos saisons. Vingt degrés de moins, les feuilles se détachent rapidement, et la pluie vient rapidement les couvrir sans nous prévenir.
Nos bandes et pistes cyclables ne sont plus visibles, leur nettoyage n’est programmé qu’après celui des voies pour sainte bagnole. Certes, les feuilles sont biodégradables, mais avant de disparaître totalement, une bouillie grasse colle aux revêtements qui se complaît à tout bien retenir. L’heure d’hiver nous assène son coup de massue au moral, et nous voilà, à rentrer du boulot dans la nuit, la bruine, et la mélasse.
Au delà du moral un peu atteint, on sent bien qu’on avance moins vite, que nos engins ont du mal à voler autrement qu’à vue, que l’effort produit se disperse ailleurs que dans le mouvement. C’est insidieux, pas immédiatement perceptible, puisqu’il faut se concentrer avec la pénombre et l’eau qui tombe.
On manque même de tomber, et la roue avant qui se dérobe, nous réchauffe comme une explosion nucléaire avec sa décharge d’adrénaline. On avait oublié qu’il faut fortement délester l’avant quand on prend un bateau de biais. Et l’adhérence devenue précaire nous rappelle à la physique. La roue ne passe pas, reste guidée comme dans un rail, alors que le corps pense avoir déjà passé l’obstacle. On se rattrape, on se retrouve à pied, sentant bien que les choses ont changé.
A l’arrêt, ou presque, en tournant à quatre-vingt-dix degrés sur ce trottoir qui se prétend également la piste cyclable du simple fait d’un logo peinturluré, l’avant part encore, raccroche, l’émotion se mélange et ne se vit que rétrospectivement. Le rythme est extrêmement lent pendant les quelques centaines de mètres qui succèdent à la presque cabriole.
Et l’on se dit que l’hiver va être bien long, quand un reliquat d’été, comme un solde de congés oubliés dans un coin, se rappelle à notre souvenir. La température regrimpe à des hauteurs indécentes pour l’époque, le sol est enfin lavé, le ciel redevient bleu un instant. Il y a un hystérésis entre la météo et nos sensations, car avant tout on profite : d’y voir un peu plus clair, d’ôter nos couches protectrices encore un moment, de se reparler sur les pistes.
Les plus attentifs rinceront leur vélo, profiteront de cette trêve pour refaire un contrôle de l’engin. L’envie nous a quittés avec l’arrivée du soir à la nuit. Un coup de gras sur la chaîne, après l’avoir chiffonnée, un coup de pompe dans les chambres, et insuffler le demi bar manquant.
Bref, on se réjouit de l’accalmie, on re-jouit du meilleur.
Et puis on s’introspecte à nouveau, et l’on ressent à nouveau l’accroche de nos gommes. La température plus clémente les a assouplies, et la calorie digérée par le quadriceps se transmet à la cheville, la pédale, la manivelle, le pédalier, la chaîne, la cassette, le moyeu, les rayons, la jante, et enfin au pneu. Elle arrive entière à la propulsion, sans perte ou si peu. On retrouve cette magie enfantine de l’efficacité incroyable du vélo sur tous les autres moyens de déplacement.
On expérimente chaque jour, le génie de ceux qui conçoivent nos pneus. Réalisant l’improbable compromis. Comme pour tous nos composants, des castes existent. D’aucuns ne jurent que par les Chevalbé. Jusqu’à provoquer la raillerie des autres au point d’avoir un compte twitter de ralliement.
Au fond peu importe tant que l’ivresse nous regagne.
La pluie est revenue, le gras aussi, et l’on rêve déjà à la fin du printemps, quand on recommencera à rouler léger, à ricaner à ceux qui s’interrogent sur notre constance sous la pluie. Attendez donc de voir la neige quand tout sera bloqué, leur rétorque-t-on.
A mes congénères, j’aurais voulu dire : Attention, ça glisse au pays des merveilles, mais sans le contexte c’eut été un terrain glissant,et je les ai laissés filer, n’essayant même pas de les attraper.