Le vélo est le nouveau romantisme (Ep.19)

Dans les limbes
4 min readApr 7, 2019

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Faux départ.

Ce week-end est le premier qui peut se targuer d’être du printemps. Une légèreté emplit l’espace, on prend son temps dans la queue du commerçant, on se regarde à nouveau, pour retrouver une vieille connaissance. J’embrasse Nadine devant le primeur.

En ce petit matin de dimanche, on ouvre grand ses fenêtres pour laisser pénétrer la lumière et la douceur. La tiédeur monte avec l’envie de sortir.

Onze heures, on remonte la vallée aux loups sur la route fermée aux motorisés le week-end, on cherchera un passage entre les barrières de travaux pour attraper le bois de Meudon. C’est au bas de la longue descente dévalée, l’air bien chaud fouettant le visage, que sur l’herbe qui borde l’étang on découvre les familles, les enfants en draisienne. C’est la saison de l’apprentissage du vélo pour les petits d’hommes.

Dans Meudon, les rues sont vides, la descente est facile, on place la roue avant en appui pour négocier les lacets qui nous amènent à la Seine. Le regard se porte au loin et embrasse la ville baignée de lumière.

On n’attrape pas la Pompidou, et l’on s’engage dans le village d’Auteuil. Les façades de pierre végétales de l’Art Nouveau éclosent au printemps.
On se pose devant chacune d’elles, imprimant nos mémoires et les cartes de nos smartphones. On s’attarde sur un détail. on traverse la rue pour prendre du recul, le vélo sur le trottoir d’en face.

L’estomac grouille d’une petite faim. J’ai envie d’un falafel. On redescend à la Seine, la Pompidou s’ouvre au dessus de la Maison de la radio.
Il nous faudra moins de temps pour arriver au Marais, que de faire la queue pour goûter les légumes grillés dans le pain tenu au creux de la main.

On repart dans l’autre sens, j’ai envie d’une glace. Les rues sont pleines de piétons, on roule au pas, deux coups de pédales, on se laisse glisser, fluides. La rue s’ouvre un instant, on recommence.

Nous voilà déjà rue Montorgueil.

Retour par la Coulée verte, presque tentés de s’arrêter, chez Pierre Hermé pour le goûter.

La coulée n’est pas celle des matins de semaine. Le vert luit au soleil, les familles déambulent. Certains ont sorti les vélos de la cave, et en procession les petits canetons casqués suivent des parents aussi apeurés qui ne cessent de les surveiller.

On prend le temps, on zigzague. Ce qui rallonge encore le parcours, m’assure que nous avons bien fait plus de quarante kilomètres.

Lundi matin. Le vélo n’est plus un loisir.

Je suis bras et jambes nus. Il est sept heure trente. Je crois vide La Coulée verte comme à l’accoutumée. Il n’en n’est rien. Ils ont prolongé le week end, et je vous rattrape avec la satisfaction de partager l’endroit avec vous. Vous êtes bien trop couvert avec vos manteaux d’hiver. C’est probablement la raison qui vous fait rouler si lentement. Vous suffoquez de la triple chaleur de ce matin, de vos habits, et de l’effort que vous retrouvez.

Au passage du périph’ ça bouchonne au feu. J’attends dans la file, il sera temps de vous passer sur le mamelon qui saute au dessus du tramway des maréchaux.

La journée au boulot est égayée par ce bleu qui a envahit le ciel, au point que j’irai acheter des glaces à l’équipe pour le goûter. Je donnerai les rompus à l’étage du dessous, recevant les sourires d’étonnement de Nathalie et ses comparses qui brainstorment dans le couloir.

Au soir, je m’assure de la prévision du lendemain. L’hiver résiste et revient.
La température chutera de dix unités au moins, l’eau retombera du ciel.
Je remets le coupe-vent qui ne me quitte pas de l’hiver, dessous je n’ai pas envie de remettre les couches de pelures qui me couvrent depuis de si long mois. je garde les gants aérés.

La coulée verte est vide. Les gouttes s’échappent du garde boue avant, et la loupiote les fait scintiller comme des étincelles. Le bitume luit de ce soleil qui se bat pour poindre sans y parvenir. Je suis seul, et pense à vous qui avez retrouvé un wagon à bestiau où une boite de conserve à volant.

Je vous sens l’air maussade et renfrogné dans le cocon illusoire de vos autos, vous êtes bien coupés du monde derrière la vitre mouillé, et je prends garde à votre aveuglement.

Au pont neuf, le trottoir est très haut, le parapet de pierre masque la voie sur berge. Je me dresse sur les pédales pour voir au loin, et les pavés tressautant me pousse à m’arrêter. Curieuse idée, en effet, puisque avec le froid revenu, les doigts gercés il me faudrait plutôt poursuivre. Je profite de l’instant.

Vous êtes deux à glisser dans la tranquillité du bord de Seine quand sur la voie haute, les moteurs enfument.

Je ne vous ai pas beaucoup vu ce matin, mes congénères, et j’aurai pu vous dire qu’à vélo, on a chaud quand il fait chaud, on a froid quand il fait froid, on est mouillé quand il pleut. Alors j’ai filé, et à l’arrivée j’ai réglé le thermostat de la douche au plus chaud.

Vous avez raté l’épisode 18 ? Il est là

PS : Au soir, j’avais le nez qui coule. Mais ça n’a duré qu’un jour.

PS2 : il refera aussi bon le samedi d’après, et nos rues se sont à nouveau remplies. Et devinez quoi, on a ressorti les vélos.

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