Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 22)

Dans les limbes
5 min readOct 6, 2019

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La collection.

Je me souviens de mes vélos, de tous mes vélos.

Le premier d’entre eux, j’en ai un souvenir iconographique plus que réel. Je porte une salopette, et marche depuis peu. C’est un tricycle en tubes d’acier, un véritable pédalier relié par une chaîne à l’axe de roues arrière, le guidon est en corne de vache avec ses poignées en plastique dur. Au-dessus des roues-arrière, une petite benne basculante. Je crois bien y avoir transporté des jouets du salon à la chambre. Sur la photo qui me le rappelle nous sommes dans un lieu de villégiature dont le souvenir n’est plus vivace.

Pour le deuxième, je me souviens bien plus de son aspect, bien que n’ayant pas de photos. Il a un cadre ouvert pour ne pas avoir à l’enjamber, et des roulettes amovibles à l’arrière. Dans mon souvenir il est bleu foncé.

Dans la voie privée de la résidence où nous vivions, rien à craindre des autos, et c’est tout notre saoul, qu’avec les copains, on a tourné en rond. Il y avait une rigole entre la chaussée et les parkings, et plus d’une fois, je me suis retrouvé les roulettes de chaque côté, la roue arrière suspendue, pédalant frénétiquement dans le vide, m’obligeant à descendre pour que la roue retrouve le contact du sol.

Pour faire comme les grands, on jetait nos vélos à terre pour les coucher malgré les roulettes qui les tenaient droit.

Un jour, j’ai demandé à mon père de retirer les roulettes. Il avait, quelque temps avant, pris soin de les tordre légèrement, me donnant quelques instants la sensation de l’équilibre à tenir.

« Je te préviens, je ne les remettrai pas ».

C’était parti, définitivement. On lâchait une main, puis deux. Il y avait un trottoir qui servait de rampe de décollage.

Au collège, à l’approche du lycée, où j’aurais dû me rendre à vélo. On m’offrit un demi-course, gris, à ma petite taille. Il avait vingt et une vitesses, garde boues chromés, lumières et porte bagages.

A l’instar des potes qui bavaient d’envie devant les motos de trial, je rêvais déjà d’un cintre plat. Avec Gillian nous dépouillerons des solex de leurs moteurs.

Il n’en fut rien. J’irai au lycée dans Paris, déambulant dans les rues du quinzièmistan à pied, et en roller.

A peine plus tard, en vacances chez mon oncle, grand cyclo-randonneur, président de son club, regardé par la bourgeoisie locale comme pratiquant un sport de prolétaire, j’emprunte les vélos de mes cousines. Mon job d’étudiant consiste à relever des compteurs. Le vélo est rouge avec un guidon bas qui est aujourd’hui redevenu à la mode. Dans ma musette des cartes à graphiter, un cadenas à câble, je parcours la ville en lisant mon plan.

Et je m’exile, de plus en plus loin, je me laisse entraîner par la facilité, le mainstream, le motorisé.

A la faveur d’une rencontre, d’un week-end où l’on m’aura testé, je suis adoubé par la bande des fêlés de Talant. Toute l’année, tous les dimanches on se donnera rendez-vous à sept heures. De retour vers 13h, crottés, épuisés d’avoir couru les bois, les cailloux.

Je serai le premier à équiper mon vélo de ces redoutables freins à disques. Nous irons à la Forestière taper un score, dévaler le Jura de haut en bas.

De retour vers la capitale, je tenterai quelques fois le vélotaf avec ce vélo tant choyé. Sans conviction. J’appuie trop fort, j’arrive en nage, je ne gagne pas de temps.

On me le volera. Je porterai plainte pour exorciser la douleur infinie de sa perte. Sans succès.

Je le remplacerai en urgence, par manque, bien que je ne roule plus sur les chemins.

Et puis je dois reprendre le RER. Je mets trois ans à comprendre combien il m’use, combien ce moyen de transport est une aliénation, un non-sens.

Enfin je me lance, je démarre ma mue de cycliste urbain. Je garde de mes tours de roues passés, le besoin de rouler en cuissard, de porter un casque, par habitude.

Puis du VAE je passe au vélo de randonnée, je pars en vacances avec.

Je fais du rangement dans le garage. Retrouve un vélo de grande diffusion et de vingt ans. Il est un peu fatigué, dispose d’un curieux système de passage de vitesses où les dérailleurs sont actionnés par la même poignée. C’est tout grippé. Le Bon Coin m’apporte les quelques pièces nécessaires à bon compte.
Un joli guidon trouvé à l’atelier solidaire, quelques accessoires retrouvés dans la cave.

Désossé, nettoyé, remonté, réglé, il me sert à aller chercher le pain, et pas plus.

Et Noël approche, les réseaux s’agitent, qui pour dire ce qui les fait rêver. Un gravel de grand luxe, un cargo, un longtail. La SNCF à contre-courant du monde n’autorise plus les vélos non démontés dans ses TGV.

Je lorgne vers ce vélo de yachtmen, une bizarrerie d’outre manche, où rien ne se fait comme sur les autres vélos. Je l’essaie, je l’ausculte dans la boutique.
Je suis mûr. Plus que deux mois avant de poser ses chaussons sous le sapin.

Je vous vois chez le vélociste, à l’atelier devant les vélos d’occasion, à rêver, empoigner les guidons, sentir l’inclinaison du buste, à l’arrêt, les pieds en pointe sur le sol, parfois l’essayer autour du pâté de maison. Je vous dirais bien de tout essayer, et ce qui compte dans le choix, c’est qu’à la fin ce soit SON vélo.

Vous avez raté l’épisode 21 ? C’est là !

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