Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 30)

Dans les limbes
6 min readSep 19, 2020

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Faire durer

Cette année un satané Pangolin nous a volé notre printemps.
A la sortie de l’hiver, pauvres marmottes, nous sortons d’habitude de notre hibernation, de notre confinement du fond du canapé tout juste éclairés par le scintillement de l’écran ou bingent les séries des week-ends toujours froids, humides et à la durée du jour bien trop courte.

Au printemps, c’est le moment où revient l’envie, le temps où l’on se prend à rêver de circumcylopedie. On dérouille autant les articulations que les maillons de la chaine de transmission dans ces premières balades, tentant de maximiser le temps de clarté que nous offre la fin de l’hiver. Dans ces balades d’un jour, au matin on se couvre bien, le corps n’a pas encore repris son métabolisme des longs efforts. On éructe des relents de raclette dans les premiers tours de pédale. On se souvient que pour les cyclistes, la terre n’est jamais vraiment plate, et le vent glacial toujours de face.

Bref, on se remet en selle, on consulte les amis, les internets, les revues pour préparer sa grande transhumance de l’été. Les coquets referont leur garde-robe de mérinos ou de lycra selon leur clan, remplaceront le réchaud cassé l’été dernier.

Rien de tout cela cette année. On a passé notre printemps à regarder les feuilles pousser de notre fenêtre. Au mieux, on aura usé du pneu sur des rouleaux ou son home trainer. Mais ce ne fut qu’un songe éveillé vers des horizons nouveaux.

Ce blaireau à écailles, cet espèce de Bernard Hinault en armure nous a forcé à pédaler sur place. On aura bien eu le droit de sortir plus d’une heure, sans attestation à plus d’un km de chez soi, mais le cœur n’y est pas. Et à l’itinérance de l’été, celle qu’on a longuement préparée, qui millésimera notre mémoire, on aura choisi de se poser. Immobiles, comme les mois précédents ou dans un ailleurs de l’hexagone. On aura fait son tour à six cotés pour embrasser ceux, encore vivants qui nous sont chers et qu’on n’a pas vu depuis si longtemps.

On s’ébaubira comme Jean Pierre Pernault de la foire à la saucisse du village de villégiature où notre dévolu s’est posé. On n’est pas vraiment fatigué.
Juste épuisé.

Cette parenthèse estivale se referme bien trop vite, comme chaque année. Et celle-ci avec un goût plus amer d’inachevé. Déjà, on nous presse à retourner faire tourner la bête inhumaine qui fait tourner les compteurs du CAC40 et flatte l’égo des lauréats du classement Forbes.

Il fait incroyablement beau en cette rentrée, une canicule en septembre où l’on ne trouve plus un vélo à acheter, où la ville se mue en un cortège de bipèdes sur deux roues, où des pistes cyclables poussent comme des virus sans vaccin.

C’est bien, mais trop c’est trop. Et alors qu’à la même époque on se résigne déjà au prochain hivernage, une révolte gronde, sourde et éclate un mardi.

Et si on partait deux ou trois jours à vélo ? Me dit-elle.
La requête m’arrive en pleine face, je n’osais admettre l’envie qui moi aussi me taraude.

Ce sera trois jours pour Sandra (NDLR : le prénom a été changé pour préserver son anonymat), deux pour moi. On se choisit nos compères respectifs. En l’espèce ce seront des commères, sans être bien sûr qu’on puisse les qualifier ainsi. L’inclusif a encore du mal.

En deux clics, on trouve les lieux d’intérêt, alibis assumés, quand on sait que dans le voyage à vélo le parcours compte au moins autant que la destination.
On se battra avec le découpage régional des TER, et ses billets Sans Famille, pour être sûr de pouvoir rentrer. Ce n’est pas qu’on n’aime pas l’imprévu, mais il faudra quand même être là lundi pour emmener les mouflets à l’école et retourner au boulot.
Deux clics de plus et les nuitées sont réservées. Pour Sandra et Laure, du R’n’B avec montée des vélos dans les chambres. Pour moi, pluie d’étoiles, douche italienne à quatre places et montures dans la conciergerie.

  • Ça te va ?
  • Parfait ! nous disent-elles.
  • Ce n’est pas un peu long quand même ? On n’a quand même pas beaucoup roulé avant.
  • Attends je réajuste…

La semaine file jusqu’au soir du départ. On rassemblera l’essentiel à la hâte.
On sait qu’on se fait prendre à trop prendre. Mais là pas le temps de peser, de soupeser pour déposer le superflu. Si ça rentre dans la sacoche, le sac à dos alors go.

Par acquis de conscience, on étale en carré, et en un insta, on questionne les réseaux. Ils ont tous un avis, sur l’indispensable, l’absolument nécessaire.
Moi, je m’étonne de la taille du dentifrice de l’équipe de Sandra. L’avenir nous dira qu’il aurait avantageusement été remplacé par la même quantité de Mytosil…

Plus qu’un dodo. Comme chaque soir de la semaine, on a minutieusement écouté la prévision météorologique dans la lucarne.

A la hâte, au matin, on finit d’emballer, on vérifie sans excès la pression des pneumatiques la présence du strict nécessaire de réparation. Et dans la ville encore groggy de ses premiers jours de rentrée, on glisse lentement vers le chemin.

Nous étrennons les nouvelles rampes d’accès de la gare. On trottinettera sur une pédale pour trouver la voiture aux deux places à vélo.
Hissons l’équipage sur l’étroit marche-pied du TER à l’ancienne. Des coraux mal adaptés. Le crochet balance quand on tente d’y suspendre la roue avant du vélo alourdi par la sacoche. Le réveil est difficile.
Sandra et sa comparse démarrent sur leurs roues dans les vallons de la banlieue. Pas plus simple.

Il faut moins d’une heure pour s’échapper du tumulte de la ville et traverser des villages qui jamais ne se réveillent. On ne rate pas la seule boulangerie ouverte.
Je ne vous conterai pas les plaisirs du voyage à vélo. Ils se vivent, simplement. Ensemble.

A l’étape, on compte un peu ses douleurs. C’est le fessier le plus touché par ces longs mois d’inaction. On en rit, on en veut encore demain.
Au second réveil, on est ailleurs, avec l’envie du jour de rouler sur ces nouveaux chemins, ces horizons nouveaux. Chaque instant se vit pleinement.
Le bagage est vite fait. Point n’est besoin d’empiler dans le bon ordre. Ce soir on rangera à la maison.

On glisse sur la vélo-route le long des lacs, n’ayant l’heure sur la montre que pour l’assurance de ne pas rater le train du retour. J’ai empoché une banane au buffet du petit déjeuner. Les yeux dans l’eau, je me requinque au bidon.

On s’étend dans l’herbe au soleil qui revient cet après-midi en attendant d’embarquer.

Le quai est rempli d’étudiants qui partent s’interner vers la métropole. Leur transhumance hebdomadaire s’accompagne des commentaires sur leurs nouveaux profs, le bon choix de leur orientation. Leur week-end s’achève à 17h00.

La correspondance à un patronyme exotique.

Le train est sonore, Les gros sacs des étudiants encombrent les allées. Entre leurs écouteurs hurlant, les devoirs qui se finissent, les somnolents ronronnants, le TER file dans la campagne. Il déverse son flot à la ville. et nous surfons entre les bagages à roulettes, le vélo à la main.

Il y a dans le voyage à vélo un étirement du temps. La préparation est un préliminaire plein d’excitation. Après le voyage une latence prolonge la sensation longtemps après. Le spleen du dimanche soir n’est plus. L’univers de son chez soi retrouvé, on le vit comme une étape après la route. On se regarde, se remémorant l’effort, ancrant les images, les moments partagés.

Avec Sandra, on se congratule à distance via les réseaux. On se donne l’envie de faire le parcours de l’autre la prochaine fois.

Demain c’est lundi.

A vous, que je suis dans la file des vélotaf pressés, j’aurais voulu dire de prendre votre temps, à voyager, mais j’avais encore l’esprit à faire durer l’escapade, à imaginer la suivante, et j’ai filé.

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