Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 36)
L’éducation sentimentale.
Ce roman dans lequel Frédéric écrit au travers de ses yeux nous transporte dans un amour irrépressible, inconditionnel, la folle envie d’apprendre auprès d’une maturité dont la morale réprouve l’accès.
Maintenant que votre fiche de lecture pour le grand oral du baccalauréat est terminée, vous pouvez vous préoccuper du roman de votre vie cyclable dans les rues de la cité.
Le propos de ce billet n’est pas de vous expliquer où trouver comment vous former à la circulation agréable à vélo dans les villes. Pour cela vous avez d’innombrables ressources à commencer par les livres de Jérôme Sorrel, du guide la Fub, les sympathiques et fort instructives vidéos de Bilook ou Altisplay. Si vous n’apprenez qu’avec un maître ou une maîtresse en face de vous, rendez vous dans la vélo école de votre quartier.
Or vous êtes déjà au fait d’une pratique vertueuse, néanmoins pas toujours exempte de menus reproches mais vous voilà tout de même en mesure d’éduquer les autres. Vos petites imperfections n’interdisent en aucune façon de dispenser quelques conseils avisés à ceux qui en tireront le plus grand bien.
On perd jamais son temps à éduquer son prochain, qu’il vous ressemble ou vous ignore, le monde ne s’en portera que mieux.
Aussi me permets-je ce jour de vous professer doctement quelques expériences qui jusqu’à présent ne m’ont rapporté qu’au pire des moues dubitatives, quelques invectives plus rares. Des coups jamais. Et parfois j’ai la prétention de croire qu’elles ont porté leurs fruits.
A chacun de trouver son style, celui qui fera de vous un professeur inimitable, de ceux qui marquent une vie. J’avoue avoir eu un faible pour la rhétorique de 50euros, et m’inspirant de sa maïeutique condescendante où l’intelrocuteur pris le GCUM sur la bande cyclable tente tant bien que mal de conserver une contenance sans pouvoir hausser le ton.
A tout emmerdeur tout honneur, et c’est de nos amis à scooter dont il sera d’abord question. NDLR : je vous épargnerai le plan en thèse, antithèse, foutaises si cher au Bulletin Officiel de l’éducation national.
Revenons à nos couillons, et il faut comprendre que le scootard est toujours pressé au point d’aller poser ses pneus en des lieux inappropriés voire interdits pour lui.
Pour l’éduquer il faudra donc attendre qu’il vienne, fier comme un bar tabac s’arrêter à coté de vous sur le sas vélo. On y a bien dessiné un petit bonhomme sur deux roues qui lui laisse croire qu’il y a sa place et il ne voit pas la jambe pliée qui est le propre de la position qui met le plus en valeur vos mollets galbés.
C’est le moment idéal avec les quelques dizaines de secondes que le feu tricolore vous offre, et que vous ferez encore durer après. Bien sûr il n’y a pas de panneau M12 vous autorisant à continuer où vous allez.
Il faut savoir garder une attitude béate, un peu niaise alors qu’évidemment vous bouillez intérieurement. Vous pouvez jubiler un peu en anticipation. Avec l’expérience vous y arriverez très bien.
“Bonjour”, dites vous avec un sourire, un peu fort quand même car entre le bruit de son engin et son casque il entend mal
Marquez une pause, en le regardant bien.
Dès qu’il vous regarde, enchainez : “Je peux vous expliquer un truc ?”
Il opine du chef sans encore savoir la leçon qu’il va prendre.
Vous pointez le picto au sol avec le doigt et poursuivez : “ça c’est un sas vélo, pour vous c’est quatre points et cent trente cinq euros d’amende.”
“Et en plus c’est vidéo-verbalisé”. Vous pointez cette fois ci votre doigt, loin en arrière et un peu en haut.
“je dis ça, c’est pour vous”.
Il cherche à se contorsionner pour voir la caméra imaginaire engoncé qu’il est dans son blouson au risque de déséquilibrer son lourd engin.
Parfois, il reste quelques instants avant que le feu ne passe au vert. Souvent, ça bougonne, ça tente une répartie. Il se fait déjà klaxonner par les autos derrière qui ne veulent pas rater le départ de leur grand prix avec un feu vert depuis déjà trois millisecondes.
Au fond, à quoi sert de leur expliquer à quoi sert le sas vélo, notre fragilité ? Ils s’en fichent. Alors parlez leur d’eux. Ça ça les intéresse.
Plus rare, et là je vous assure c’est une véritable satisfaction, certains vous répondent d’un : “merci, je ne savais pas”. Et vous les retrouvez au feu suivant sagement rangés derrière la ligne de feu.
Quand vous les rattrapez pour vous positionner devant, tournez vous avec un vrai sourire et un pouce levé.
Un a à un, vous dis-je on les éduquera.
Ça peut fonctionner avec les autos aussi. Or là immanquablement on vous expliquera que les cycliss grillent les feux. La réponse est assez évidente.
“Et que croyez vous que je fais avec vous à l’arrêt ?”
Pour les GCUM sur bande cyclable, les scootards sur trottoir, l’explication sera bien plus démonstrative et tout aussi édifiante pour eux. On se poste simplement devant eux jusqu’à leur départ de l’endroit où ils n’ont pas lieu d’être.
La conversation s’engage ? Signifiez juste qu’ils ont un comportement d’assassin. Toute insulte sous forme de connards ou autre trous du cul ne sera qu’une trop grande estime à leur encontre.
J’ai cessé de coller des autocollants encadrés d’un liseré rouge et comportant quelques tirades bien senties. On peut savoir quelle leçon l’indélicat va en tirer.
Voilà pour les motorisés.
Le vélo a beau être romantique, en témoigne mes trente cinq premiers billets, rendre sociable, et tout simplement heureux, il n’en demeure pas moins que certains de nos congénères savent être de fieffés sagouins.
Ne vous méprenez pas, j’admets être parfois un peu con aussi. Par inadvertance, ou par négligence le plus souvent.
Parmi ceux là, on trouve le cyclo urbain des premiers temps qui a appris à se faufiler dans la jungle des motorisés à l’époque où le vélo était totalement invisible. Et devoir faire la queue à un feu, voire simplement attendre le feu vert l’indispose au point qu’il cherchera à doubler sur la ridicule bidir de sébasto en beuglant et avec sa sonnette frénétiquement agitée.
Sur le ridicule couloir de Richard Lenoir, quand devant toi ça se traine vraiment, j’annonce : “attention, je passe à gauche”
Je ne sais que dire aux porteurs de sac à dos cubiques si ce n’est leur enjoindre de prendre soin d’eux, et n’arrive pas à leur en vouloir de devoir courir contre la montre des notifications de leur smartphone, véritable chaîne de forçat.
Et puis, il y a les néo. Ils ou elles on profité de la prime pour alléger la facture des quatre mille euros que coute leur engin flambant neuf. Ils sont casqués du plus cher des modèles, celui gainé de cuir. Avec le modèle luxe des sacoches, le bordo fixé au cadre, ils ont allongé leur ardoise chez le vélociste de près de vingt pour cent du prix de leur vélo. Ils ont parfaitement compris l’impunité avec laquelle ils pourront désormais se comporter, doublent le bus qui a mis son clignotant pour quitter l’arrêt, déboitent sans se soucier de qui sera derrière.
Quelle que soit la situation qui les entoure, ils roulent à vingt six kilomètre heures. Pour eux, rien ne sert de les rattraper. Un simple “Connard, remonte sur ton scooter”, ou “Descends de ton vélo, si c’est pour être con comme en bagnole” suffiront.
#NotAllVelotaf, me direz vous. Et vous aurez raison. Par nécessité, par plaisir, le vélo se partage. C’est si compliqué de ne pas être confondu avec les feurougitistes quand on passe au M12, de ne pas être amalgamé à des tueurs de piétons que lorsque vous arrêterez au passage protégé en ayant de la tête invité le piéton à s’engager, vous tendrez également un bras protecteur invitant ceux qui vous suivent à faire de même. Se lever de la selle et s’abaisser sur le cadre en roue libre pour manifester votre intention de vous arrêter préviendra élégamment vos suceurs de roues qu’ils ne gâcheront pas de watts inutiles à devoir user leurs plaquettes et repartir depuis l’arrêt courtois et réglementaire. Une jambe tendue à le même office pour signifier un changement de direction, un ralentissement à venir.
Alors que je vous suis sagement sur la coulée verte, je souffre pour votre vélo avec votre chaîne rouillée, je souffre pour vous sur vos selles trop basses. N’y tenant plus, je vous interpelle : “Bonjour, je peux me permettre un conseil ?”
Si vous l’acceptez, alors que je vous passe, je vous recommande de mettre un peu de gras sur la chaine, ou d’essayer de lever la selle de quelques centimètres pour pédaler avec moins d’effort. Je sais que cela vous rassure de rester assis à l’arrêt les deux pieds à terre et je vois bien à vous suivre depuis quelques kilomètres que vous passez plus de temps à pédaler qu’à vous arrêter.
Le plus souvent, je suis comme vous, dans ma bulle, à profiter de l’instant à laisser mon esprit vagabonder et ne vous voit que dans un halo juste suffisant pour ne pas vous heurter. Alors je vous laisse vous débrouiller et je file.