Le vélo est le nouveau romantisme (Ep.38)
Les role model
Sur le papier glacé des magazines, dans le murmure des réseaux sociaux, parfois quelques minutes sur le téléviseur apparaissent des figures de héros ou d’héroïne. On découvre le visage et l’exploit, on admire l’impensable pour soi.
Pour qui va bosser chaque matin à vélo ou s’évade alentour le week-end, leurs aventures à l’autre bout de l’effort et du monde sont au choix, un insondable mystère, une envie retenue, un courage exemplaire, une expérience par procuration.
A lire leurs interviews leurs histoires plus longuement racontées on s’attache et on se donne l’envie de prendre un instant leur roue avant de tracer soi même son chemin.
Ce sont les aventures solitaires qui m’apportent le plus de frissons. Bien que pour ma part j’ai besoin de compagnie. Pas celle d’un peloton jouant des coudes mais celle de quelques uns, voire d’une seule.
Quand Lachlan Morton n’a eu d’autre choix pour tourner autour de la France que de partir seul sans l’assistance logistique, technique et médicale de son équipe professionnelle, nous avons pris conscience que l’exploit sportif de rouler à près de cinquante kilomètres par heure ne tient qu’à la formidable intendance qui balise chaque instant.
Lachlan s’est lancé sur le même parcours à un jour d’intervalle de la course.
Seul, livré à lui même, à ce qu’il pourra trouver pour dormir, manger, avancer.
Après quelques jours son maillot n’a plus la superbe qu’arbore la tenue de ses coéquipiers bichonnés. Un mauvais réglage au départ lui impose de changer de pédales et d’enfiler des claquettes de piscine pour soulager son genou douloureux qu’on ne masse pas longuement le soir dans une chambre d’hôtel.
C’est l’adversité combattue par ses seuls moyens qui nous ramène à son statut d’individu du genre humain.
D’autres se lancent dans la french divide https://www.frenchdivide.com/ qui choisit délibérément d’aller là où les paysages se vident de l’activité grouillante, jusqu’à refuser le bitume pour emprunter les chemins. C’est long, c’est dur mais qu’est-ce que ça à l’air beau. On ira en faire un bout quelques jours à notre rythme.
Celles qui m’inspirent vraiment, sont celles qui sont avant tout ordinaires avant d’être extra-ordinaires. On pourrait presque se reconnaitre dans leur vie de tous les jours, la volonté ou la possibilité de faire en moins.
On ne sait véritablement quel entraînement elles s’imposent, quel chemin elles empruntent pour se décider à se lancer.
Il y a Fiona Kolbinger, qui non seulement s’est élancée dans la Transcontinentale 2019 de Bulgarie jusqu’à Brest, en course et sans assistance.
Rappelez vous ce formidable exploit
Il y a Aurélie Gonet partie de Dijon pour rejoindre Pekin. Sept mille kilomètres de périple accompagnée de son seul vélo.
Retrouvez son Instagram
L’article de Geo sur ce voyage
Et il y a Baptistine. Elle s’est engagée dans la Race Around The Netherlands en 2021. J’ai suivi ces péripéties sur la carte où son traceur inquisiteur se déplaçait en même temps qu’elle. Au travers de ces bilans lors des pauses.
En groupie fanatique, je lui ai écris.
(crédits Panache officiel)
En groupie, je lui ai écris :
Ma lettre du soir à @BullittEnVille
Au hasard de ma TL, un week end à jour férié à ne rien faire comme il se doit je découvre que Baptistine a pris le départ de la course autour des Pays Bas #RATN2021. Vite, mon moteur de recherche est mon ami et ce n’est pas google 1/n
Voilà le site qui nous raconte. 9 jours pour faire 2 000 km. Une jolie carte pour suivre les concurrents bardés d’un gps en temps réel. On ne se connait pas mais les réseaux nous racontent, au moins ce que l’on veut laisser transparaitre, parfois à l’imposture. 2/n
Mais @BullittEnVille c’est une vraie, une pure, une dure. On l’a entendue sur les ondes radio podcastées, et l’accent qui l’accompagne me rappelle mes années estudiantines et me charme. Il m’est impensable de me lancer dans le défi qu’elle a accepté de relever. 3/n
Je me contente de nos randos d’une semaine ne dépassant pas 70 km par jour, et jamais seul. En admiration, de voir ceux qui comme quelques autres amis s’engagent face à eux même et à un défi qui repoussera leurs limites. 4/n
Alors dès que les visios discontinues du télétravail, je fonce sur la carte de suivi, et constate avec soulagement qu’elle a encore avancé. Une halte un peu longue et on s’inquiète. La mécanique, le moral ? Que nenni, c’est souvent le ravito. 5/n
Ponctué de quelques images, qui nous projette immédiatement si loin, si froid, si venteux. La météo ajoute à la difficulté et au soir on scrute les prévisions pour le lendemain. Ça n’a pas l’air mieux pour la suite, et il faudra s’arracher pour finir dans les temps 6/n
Au soir toujours, on check où elle cherchera le repos de la nuit. Au camping, les sacoches se vident pour libérer la guitoune parfois mouillée de la veille. Le vent ne laissera pas de répit. A l’hôtel aussi où nous voilà soulagés du vrai repos qu’il permet. 7/n
@BullittEnVille descend régulièrement dans le classement, mais ce n’est pas important quand on est face à soi même. Et l’exemple qu’elle nous montre, nous forcera à repousser nos limites chaque jour davantage, qu’avec le vélo on va toujours plus loin. 8/n
Ce soir, quasiment à la moitié du parcours, et à peine plus du temps imparti, l’arrivée des premiers concurrents reste complètement anecdotique. Quoiqu’il arrive, on reste arrimé à la carte, aux nouvelles des quelques images qui nous parviennent. 9/n
J’ai arrêté de suivre @Thom_astro, bien que réalisant également un exploit, il le doit à tellement d’autres. Ici, le long de la côte de la mer du Nord chaque kilomètre gagné ne tient qu’à soi. Pleinement, totalement. Et ça vaut bien plus. 10/n
Alors oui, ce soir, sans pudeur je te dis merci. Merci de faire ça, pour toi, pour nous aussi un peu. Quoiqu’il advienne plus tard, peu nous importe. Nous avons vibré, tourné les pédales, eu froid avec toi. 11/n
Et qui sait, un jour, certains d’entre nous se lancerons. Repose-toi bien, profite à fond chaque seconde aussi dure soit elle. Donne nous de tes nouvelles au long du parcours. On se charge de faire les offrandes à Zeus, et Eole pour qu’il fasse mentir les météorologistes. 12/n
On compte sur toi. On croit en toi. Un milliard de mercis. 13/13
Un an après, Baptistine se raconte dans son blog et exhume cette lettre.
Les aventures de nos role model continuent, on se prend à les attendre pour vibrer à nouveau. Quand je vous croise, je ne peux que vous dire de partir devant. On tentera de vous suivre. Un autre jour.