Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 39)
Darwinisme vélocypédique
Voilà c’est la fin des vacances et après s’être mué quelques semaines en randonneuse, le vélo revient au vélut (contraction de vélo utilitaire) et comme autrefois, quand la pandémie amorce un semblant de décrue et le travail se fait moins à distance j’enfourche à nouveau mes destriers d’alu, d’acier ou de carbone.
L’envie a grandi pendant l’été, un sourd besoin s’est installé en moi après ces routes parcourues pendant l’été. Le vélo de Pierre, est sublime, on a roulé sur les sentiers des collines de la campagne albigeoises. Ma lourde randonneuse acier au cintre droit et aux boudins étroit n’était pas sur son terrain et me l’a bien fait savoir.
Mes vélos sont faits pour rouler sur les rubans d’asphalte les plus lisses possibles dans les villes ou les campagnes je posent mes roues là où d’autres roulent en 215/45 R17 91V. Ça leur assure d’atteindre des vitesses qui nous stressent quand ils nous frôlent sans risquer d’abimer leur suspensions. On nous fait bien quelques vélo routes qui, comble du luxe, nous sont parfois exclusivement destinées. Las, elles sont recouvertes d’un gravier qui salit nos montures et usent nos transmissions. Au mieux le ruban de bitume a une sous-couche à peine compactée qui rapidement se transforme en tôle ondulée. Les ravinements, les racines viennent cahoter nos journées, et nous pestons sur les réseaux de la différence de traitement dans le compactage entre voies vertes et voies du tout auto.
Crédit Photo : Vélorution Orléans
Je me répand ici pour mon plaisir et parfois le vôtre, mais ce billet sera bien plus clinique. Il décrit ma phylogenèse personnelle, ce chemin de modification de mon Acide Desoxy Ribo Nucléïque sans que la triple injection d’ARN messager n’y soit pour grand chose.
Il traduit l’impérieuse nécessité qu’impose l’évolution de notre biotope. Nous aurons probablement l’extraordinaire et terrifiante chance d’observer l’anthropocène cette ère géologique et pour quelques survivants d’en voir une fin déjà certaine et qui s’annonce toujours plus vite que prévue. Mad max était une dystopie. C’est désormais une prévision scientifique.
J’ai longtemps porté des cuissards, y compris dans ma pratique utilitaire de la locomotion vélocipédique et commence à peine à savoir m’en passer. Je tente avec d’autres associés de peser sur la décision vers des futurs sobres, désirables ou encore sociable. Or, quand j’observe par exemple l’obésité morbide et inarrêtable des SUV sans en apercevoir la prise de conscience du régime vital qui s’impose, j’acquiers la certitude que ces changements ont un chemin critique incompatible avec les trois années qu’il nous reste pour agir.
J’aurai pu prendre d’autres branches du règne cyclable. Celle du Raymondus, toujours vivace et qui retrouve du glamour dans le bariolé des tenues publicitaires. Celle du hipsteria boboïsant qui s’échine à rouler sur du bizarre mal-commode. Ou bien d’autres. Ceux là sont inexorablement voués à disparaitre avec l’effondrement de leur cadre de vie.
Alors j’augmente la taille de mes pneus, les complète de crampons incongrus aujourd’hui sur la Coulée Verte, les départementales de mon vélotaf. Le cintre plat se galbe en cintre route. Le cadre transmute de l’acier au carbone et sa géométrie autorise des parcours plutôt efficaces autant sur les bitumes que sur les sentiers d’entre deux champs. Le vélo se risque même à quelques marches de chemins de grande randonnée tant à la montée qu’à la descente.
Une éruption cutanée le crible d’inserts où l’académie de médecine vient juste de nommer les parasites qui s’y installent. Les cargos cages sont les bernard-l’hermite de nos montures et accueillent elles mêmes d’autres espèces pour former une nouvelle chaine alimentaire.
Bref, j’ai un gravel.
Je ne me leurre pas. Quand pour le nourrir de pièces venant de l’autre bout du globe ne sera plus possible, quand le cadre demandera de panser une blessure de fatigue, la durite aura besoin d’une transfusion de loockeed, il sera fort à parier que sa carcasse inutile finira ensevelie sous la couche de sédiments radio-actifs qu’il ne viendra à personne l’idée d’aller les fouiller.
Laissez moi croire que je m’adapte au futur de nos déplacements. Celui si prévisible où les hyper loops seront morts nés, les vols transatlantiques ne seront qu’une légende, les LGV ressembleront aux vestiges de l’aérotrain de l’ingénieur Bertin, les autoroutes seront jonchées des cadavres des quatre roues à court de leur précieux carburant subventionné. Il n’est pas même certain que la mobilité hippotractée soit permise tant on s’échine avec application à éradiquer toute autre espèce utile avant d’éliminer la sienne.
Certains préféreront rester au village, dans le périmètre que leur autorise leurs jambes pour être rentrés au soir. Je ne saurai m’en contenter et le nomadisme semi sédentaire est nécessaire à ma survie.
Aussi je m’éclipse des sentiers battus en parcourant les traces les plus fréquentées qu’enregistre Strava ou Komoot. En tout cas, loin des autres outils de locomotion incompatibles avec le plaisir que l’on cherche à vélo.
C’est plus dur, moins roulant, plus éprouvant et pourtant bien plus exaltant que d’être au contact du sol géologique qu’il soit fait d’argile, de calcaire ou de schistes, entouré de nature quand bien même ne fusse-t-elle pas primaire. N’y voyez pas un survivalisme ridicule mais la capacité de demain à continuer à visiter d’autres horizons, d’autres tribus, à chercher la compagnie des autres. Le voyage sera obligatoire pour trouver des climats acceptables. On ne pourra y rester durablement et il faudra savoir mettre sa vie dans quelques sacoches pour partir la faire ailleurs.
Je me donne l’illusion de m’y préparer avec un objet de haute technologie, des cales aux chaussures et des textiles imperméables et respirants. En tous cas, j’accoutume les muscles à cet effort afin de leur faire y trouver du plaisir autant que de l’endurance et cela suffit à mon bonheur.
Alors quand je vous accompagne à coté de vos VAE, cargos, longtails, routes, fixies, single speed, contre la montre,pliables, couchés, bi ou tri porteurs, je vous quitte avec beaucoup d’empathie et file sur le chemin de traverse.