Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 40)

Dans les limbes
12 min readAug 23, 2022

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Histoire d’O, l’Ultimate bike trip set-up guide

Dans mes tendres années, nous était venue l’idée d’un sunrise au sommet du Buet. C’est une longue marche relativement accessible au bout des aiguilles rouges. De son sommet, contempler le soleil se lever et éclairer à ras le massif du Mont Blanc est une délectation suffisante pour chausser les godillots à minuit, se taper cinq heures de marche dans la nuit à demi endormi et arriver au rendez vous quotidien de l’astre qui nous chauffe. Mais quelle ne fût pas notre déconvenue quand tout égoïstes que nous étions, on entend qu’un malotru nous a devancé et y a passé la nuit pour la même récompense. Il tentera bien de nous amadouer en nous offrant un café quand il découvrira avoir pris une cartouche de gaz qui ne s’emboîte pas sur son réchaud. Nous partagerons ensemble l’instant. Le soleil brille pour tous et chacun. Monsieur Beaumatin a soixante dix ans, il est connu pour arpenter la vallée et ses sommets, et il nous transmet ce matin là un grand secret.

Un secret, c’est un truc qu’on ne dit qu’à une personne à la fois ! Alors ami·e lecteur·ice, je ne le donne qu’à toi.

Monsieur Beaumatin, en maïeuticien confirmé nous questionne.

“Connaissez vous la différence entre l’utile et l’indispensable ?”

En haute montagne plus qu’ailleurs, la survie peut dépendre de l’équilibre ténu entre le trop plein de matériel qui te ralentit, et te fatigue au point de perdre ta lucidité, et l’absence de celui qui te sauveras la vie.

Il poursuit :

“Quand tu pars en montagne et prépares ton sac à dos, tu fais deux tas. Un pour l’utile, et l’autre pour l’indispensable. Et l’utile, tu le laisses à la maison”

Son enseignement résonne en moi à chaque fois que je me lance à l’aventure et je nous revois tous les trois sur la montagne comme si c’était arrivé ce matin.
J’ai beau vouloir tendre vers l’ascèse ultime, j’en prends trop, parfois en double.

Malgré cela, une rapide angoisse m’étreint à l’idée d’oublier un essentiel. Je pourrais créer et remiser une caisse de mon matériel prêt à partir et soulager mon esprit, or mes pratiques vélocypédiques étant assez variées, il me faut à chaque fois recomposer le menu et le contenu de mes sacoches.

De Sofiane Sehili qui gagne les courses d’ultra les plus dures au monde à Dan Hurd et sa tiny house roulante à air conditionné, chacun vous raconte son setup en vidéo, un peu mercantile parfois et où dans tous les cas on vous demande de mettre un pouce, cliquer sur la cloche et s’abonner. C’est source d’inspiration évidemment, et je ne pouvais demeurer en reste sans vous livrer ma recette concoctée et améliorée depuis tant d’années.

Chacun prendra ce qui lui convient, mais quand vient l’heure, c’est toujours la même histoire. Et comme un marronnier, au début de l’été, les réseaux t’interrogent. L’été tire à sa fin, j’ai raté le coche, mais je te souhaite de retrouver ce billet l’an prochain si tu en as besoin.

On prend évidemment ce que l’on a déjà, on succombe éventuellement aux sirènes du marketing, on se sera peut-être bricolé, imprimé ou cousu ce que les étals n’offrent pas. Chaque départ est différent, par ses lieux, son dénivelé, sa météo, son rythme ou ses rencontres.

Voilà donc en histoire d’O, les regroupements thématiques qui m’assure de la bonne composition de l’attirail, et me rassure avant l’inconnu.
Je n’ai pas de check list détaillée. Une fois que tout est étalé, mentalement je récite cette litanie pour que chaque item retenu soit juste nécessaire et suffisant. Alors seulement j’emballe le tout dans l’ordre qui convient au moment de leur usage.

Voilà enfin le secret :

N’oublies pas le dodo, les haribo, d’être beau, ton lavabo, le mécano, les bobos, ton Navigo et ton jeu de tarot.

L’alternative ultime c’est le voyage organisé où même le vélo est fourni, un bagage t’es transporté d’étape en étape, une assistance viendra au premier appel, et où il ne te reste plus qu’à suivre sans dériver les consignes du petit guide qui te sera remis à l’arrivée. Tu peux même avoir quelqu’un qui t’accompagne si tu ne veux exclusivement que profiter du paysage.

Mais je m’égare dans ce qui a tout pour moi d’un cauchemar, et revenons à notre liste.

Toi-même , tu mettras ce que tu veux dedans.
J’en suis arrivé là :

Le dodo

Nom d’une pipe en bois c’est les vacances et bien dormir c’est la clé d’un voyage réussi.
Matelas, duvet et tente constituent le tryptique de base.
De celui en mousse, en passant par l’autogonflant, c’est le matelas gonflable qui a aujourd’hui mes faveurs nocturnes. Compact et léger plié, il absorbe les irrégularités du sol, isole bien qu’éventuellement un peu bruyant. Le gonflage optimal c’est ni trop, ni trop peu.

Le duvet est un sarco en plume, toujours pour la compacité et la légèreté.
5 degrés de température de confort suffisent y compris pour les nuitées fraiches voire négatives.

La tente, c’est bien si on peut s’y tenir assis pour se changer, avec une abside pour protéger les affaires peu sensibles, et une surface autorisant d’y rentrer les affaires qu’on souhaite à portée de main. Avec dix années de pliages et dépliages je sais la monter les yeux fermés. Elle ne se range pas dans le sac d’origine qui impose un pliage d’origamiste et une toile parfaitement propre et sèche. Un sac plus lache avec un simple lien autorise des plis plus approximatifs. Le volume se réduit ensuite avec les sangles qui la maintiendront au vélo.

Je ne vous parle pas d’un maillet ou d’un marteau pour planter vos sardines. Cela peut vous valoir une fatwa numérique et un cancel peu recommandable.
Avec un sol meuble, la sardine s’enfonce à l’appui de la semelle, sur un sol dur c’est une vraie malchance de ne pas trouver un caillou ou un bout de bois. La cale SPD de mes chaussures est le point dur qui fait s’enfoncer l’impénétrante.
Et si vous dormez en camping vous aurez un alibi pour entamer la conversation avec un campeur motorisé, la gérante du camping en empruntant leur beau maillet en caoutchouc.

Pour l’oreiller, un gonflable fera l’affaire si tu y tiens. Mes fringues propres, convenablement pliées dans un tote bag me suffisent. Pas les fringues sales, je n’ai pas besoin de t’expliquer pourquoi.

“LE” truc qui me vient des nuits en refuge ou dans des gites d’étape à l’hygiène douteuse, c’est le drap de soie. Ça ne coute rien, ça ne pèse rien, ça augmente le plage de température du duvet et tient vraiment chaud, ça préserve la propreté de ton duvet plus dur à laver et faire sécher, et enfin même si tu ne t’arrêtes pas dans un Relais et Châteaux tu pourras dire que tu “pètes dans la soie”. Tu peux aussi juste dormir avec hors du sac.

C’est la mode des petits fauteuils pliables. Je comprends c’est tentant. Or, au camping, dans le jardin public ou la margelle de l’église, le café où tu feras une pause, tu trouveras souvent un banc, voire une table. Si t’as l’âme scout et du temps, si tu te sens survivaliste tu construiras ton mobilier avec du bois d’arbre taillé dans la foret.
On lui préfère un petit drap de plage en tissu qui protège de la poussière, permet d’étaler le pique nique, retrouve son usage premier quand tu croises une baignade.

Des bouchons d’oreille à l’encontre des voisins indélicats ou du vent qui secoue la tente et te voilà équipé pour le sommeil du juste.

Le hamac est une alternative séduisante. Je la testerai dans un voyage solo.

Haribo

Pas ce que tu manges la journée, cela ne nous regarde pas.

Voilà un sujet sensible s’il en est. L’alimentation et la cuisine à l’étape.
On peut strictement ne rien emmener si on est exclusivement pizzavore. Tu ne programmeras ton parcours qu’avec la carte ad’hoc de Thibault.

J’ai envie d’un café au réveil avant toute autre activité. Le soir nous n’avons pas toujours le courage de reprendre le vélo ni d’attendre le service, aussi gourmand soit-il.

J’ai donc un réchaud, qui tient plié avec sa cartouche dans une gamelle haute d’un litre. Une tasse, et un bol avec un couvercle. Une cuillère-fourchette en titane. Le bol est épais pour préserver la chaleur d’une soupe qu’on réhydrate. Le couvercle a la même fonction. Il permet de transporter un reste de fruit pour la journée. Même sale, fermé, il ne souillera pas les sacoches.

Le couteau c’est une religion. La mienne est savoyarde et à virole par atavisme familial.
Une planchette fine et grande comme la main pour découper et trancher le pain, le saucisson, les fruits et légumes et pour ne pas se la couper. La main.

Une gourde souple pliable de deux litres. Ça évite les incessants allers retours au point d’eau, cela suffit en général pour la cuisson du soir et la boisson chaude du matin.

Une cafetière à piston en plastique pour deux tasses et du vrai café déjà moulu dans une boite hermétique est je le consens le luxe qui nous fait du bien.

Une dernière boite plastique avec couvercle où tu mettras les périssables achetés en route. Fruits ou fromage frais.
Le Comté reste emballé dans l’épais papier aluminisé du fromager.

De toutes petites boites pour le sel, le poivre et quelques épices qui feront de nos tambouilles des plats signatures. L’origan, ça va avec tout. Un piment ou un cumin moulus relèvent n’importe quoi.

Un torchon, une éponge, et un peu de produit vaisselle dans un flacon de dix centilitres et ton trousseau sera brillant toute une semaine.

Tout beau

Mais point n’en faut. Une sacoche n’est pas un dressing.
La recette c’est d’être lavandière. Deux tenues de jour et une de soir suffisent.

Avec un flacon de lessive sans bouillir, tu compléteras tes ablutions corporelles vespérales de dix minutes de frottements de tes oripeaux. Avec un temps raisonnablement clément et suspendu aux haubans de la tente, le tout sera sec avant le coucher. Au pire tes vêtements de la veille seront tes oriflammes autour de tes sacoches et achèveront de sécher.
Une bassine en tissu souple et pliante t’apportera un pré-trempage salvateur des odeurs vraiment fortes, te servira à transporter ton linge mouillé du lavoir.

Je me suis pris à m’imaginer faire halte dans un camping naturiste pour tout mettre dans la machine à laver en libre service et profiter de l’ardeur du soleil au bord de la piscine pendant que la Mère Denis s’échine à ma place.

Une paire de chaussures pour l’étape et la douche au camping : tongs et ses chaussettes tabi, claquettes de piscine ou brodequins d’allemand à ta convenance. Tu peux aussi rouler avec si tu veux.

Le maillot de bain. Tu as déjà la serviette pour corriger ton bronzage tour de France.

Bobo

Ça parle de soi même. Ce n’est ni ta carte d’adhérent à l’AMAP, ni ta graisse à lustrer ta barbe de hipster.

Un anti douleur paracétamolesque si t’es sujet aux céphalées.

Une crème solaire, un bâton pour les lèvres.

Un anti-bêtes qui piquent.

Un baume à tout faire. En tube, pas en roller. Ce serait dommage de le réserver exclusivement à son fondement meurtri par les frottements.
Il y a une marque qui marche vraiment bien pour apaiser la peau qui te gratte parce que brulée, frottée, piquée.

En option, ton traitement si t’en prends un, des condoms, pour le lubrifiant tu utiliseras celui de la rubrique mecano.

Lavabo

L’objectif est d’arriver au volume autorisé dans les cabines d’avion.
Si t’as déjà une vu une tablette de douche dans un camping tu sauras que c’est illusoire de vouloir déménager ton boudoir et emmener tout l’attirail de ta coiffeuse.

Donc on reconditionne au plus petit, ou on soudoie sa pharmacienne pour des échantillons de dentifrice, de shampoing ou de gel douche.
Si t’es adepte du zéro déchet tout cela existe en phase solide. Le savon de marseille ça lave tout son bonhomme, ses mains en premier, et ça peut remplacer la lessive.

Pour la serviette tu choisiras la plus petite que tu pourras trouver. Les plongeurs de haut vol s’essuient avec un mouchoir. Tu dois pouvoir y arriver.
Ça sèche plus vite, et tu n’auras pas un étendard qui flotte au vent de ton vélo toute la journée. Si tu insistes et que tu es médiéviste alors tu auras bien plus fière allure à pédaler en armure.

Une pince à épiler, un coupe ongle, une lime à ongle. Ça parait surprenant après le discours précédent et pourtant. J’aurai du les mettre dans la rubrique bobo ou mécano. C’est pas pour l’esthétique mais pour le chirurgical. Un ongle qui va s’arracher, une écharde qui ne veut pas sortir et t’as déjà les outils du docteur Maboul.

Un nécessaire à couture, fil, aiguille pas pour le bonhomme, pour le fashion ou le dodo.

Il paraît qu’il faut une pince à linge. Questionnes les réseaux pour savoir pourquoi.

Mecano

Normalement tu as déjà ce qu’il faut si tu pars parfois un peu loin même si tu rentres chez toi le soir.

Un multi-tool, une chambre à air de la bonne taille et du bon embout, rustines et pompe sont le minimum minimorum.

Je le complète d’une pince multi usages, parce que la pince y en a pas sur le multi-tool et qu’on a toujours un truc à tenir fermement pendant qu’avec l’autre main on s’affaire. Il y a des morceaux tranchants parfois impossible à extraire sans l’outil. Il y a aussi des ciseaux. C’est pas mal si tu veux faire un relooking de tes fringues en route, ouvrir un satané sachet facile à ouvrir et que tu veux bien refermer après.
Mais la vraie raison, c’est qu’il y a dessus un tire bouchon, et un décapsuleur. Ce serait tellement dommage de ne pas s’en mettre une avec les productions du cru traversé. Avec modération, sous entendu, une fois par jour et pas plus.
Si t’as le tempérament helvétique tu auras tout ça sur ton couteau, sauf la pince.

Des patins de freins, ou des plaquettes si tu prévois la route des cent cols, un câble et une patte de dérailleur, un maillon rapide si tu sais les utiliser et que tu traverses le Morvan un jour férié.

Du lubrifiant pour la chaîne quand elle aura été totalement rincée par le monstrueux orage que tu n’auras pas pu éviter. C’est fou le plaisir d’une transmission bien huilée et silencieuse.

Navigo

Pas le pass que tu exècres toute l’année, on est dans le registre du parcours.

T’as l’option de tirer au sort à chaque intersection si tu vas à droite ou à gauche, faire un sondage sur les réseaux sociaux. Il arrive un moment où il faut rentrer, trouver une gare, ou simplement la seule boulangerie ouverte à moins de vingt bornes.

T’as un device qui ne sert qu’à ça et prends le pouls de ta physiologie. Tant mieux.

Je fais ma navigation avec des applis de smartphone. J’en ai plusieurs très complémentaires. Des open source avec des données ouvertes, et d’autres qui ne le sont pas. C’est tout mon paradoxe de libertaire respectueux des lois. Une appli météo fiable, un oxymore, et voilà.

Un powerbank pour tenir la journée. Un deuxième Powerbank qui se recharge au panneau solaire souple toute la journée à l’arrière du vélo si la nuit à venir n’est pas à proximité d’un réseau électrique.

La plupart du temps au camping, il me faudra encore bien souvent une prise ad hoc car ça m’ennuie de laisser mon attirail électronique à la prise des douches. Une rallonge courte parce que dans ce cas la prise est en hauteur et l’électronique qui pendouille sous la pluie c’est moyen. La rallonge va jusqu’à la sacoche posée au sol et sert d’abri IP67 aux machins qui se rechargent.

Une prise multi usb, les cables de la bonne longueur, le tout du meilleur ampérage pour ne pas perdre de temps à la recharge.

Papiers et deniers à ne pas oublier.

Tarot

Domino, tricot, photo, tout ce qui te fait plaisir et t’abstrait l’esprit de l’endroit où tu te trouves pendant que ton corps se repose. Tu peux te contenter de jouir de l’endroit, mais quelques pages d’un bon bouquin ou d’une liseuse précéderont ton sommeil, rendront l’attente du train du retour plus supportable. Tu peux aussi essayer de finir un jeu à écraser des sucreries de ton smartphone. Là c’est toi qui vois.

In extenso

Je mets tout ça dans pleins de tote-bags en nylon par thèmes, en plus t’en auras un vide pour ton linge sale, un pour tes emplettes du jour, un pour la trousse de toilettes et le suspendre avec tes fringues dedans à l’unique et ridicule crochet de la porte de douche du camping. Ça accélère la recherche d’un truc dans la journée, et le rangement du matin.

Voilà donc tout mon barda comme d’autres le font en photo avec leur équipage éparpillé, allongé à son coté pour l’échelle.
Tout emballé ça tient dans cinquante litres et pèse entre dix et quatorze kilos.

On peut faire moins, on peut faire plus, on peut faire mieux et quand je croise un congénère et l’interpelle sur un détail de son attirail, je me dis que bon, et je file à l’étape suivante.

PS : aucune marque n’est citée dans ce billet. D’abord parce qu’elles ne me paient pas, et surtout parce que ce billet n’a pas d’autre objectif que de vous divertir et c’est à vous de trouver ce qui vous ira parfaitement. Si vraiment vous voulez savoir, je vous répondrai en message privé.

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