Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 41)

Dans les limbes
16 min readAug 25, 2022

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Juste un peu plus loin

Et si je poussais un peu plus loin ? Pour quoi faire, je suis arrivé à destination.

Nos parcours du quotidien se mesurent en kilomètres, nos itinérances estivales en dizaines de kilomètres. La centaine est une barre hautement symbolique et quand tu la franchis la première fois tu te régales de cet achèvement. Bien sûr tu es un peu plus fatigué qu’à l’habitude, tu as eu quelques moments de doute, une légère défaillance, mais il te reste assez d’énergie pour célébrer ce passage du cap de tant d’espérance.

D’avoir allumé un digit supplémentaire de ton compteur jamais usé jusque là fait germer l’idée que tout devient possible. Tu auras pris soin d’envoyer paître Raymond qui te dit que d’avoir mis la journée pour le faire c’est pas Ouf.

Tu te dis que tout est possible. J’en suis là également.
Et vous le raconte en trois temps

Premier temps

Cent kilomètres, je les avait fait sans même savoir être parti pour cela au temps de mon adolescence et des vacances chez mon oncle qui m’emmenait sans que cela soit négociable dans son groupe de cyclo-Raymond. Je me laissais faire. Il me prêtait un cuissard en laine avec une vraie peau de chamois, des mitaines avec le dos de la main en crochet, des chaussures avec cales-pédales et j’empruntais le vélo guidon course de ma cousine.

C’est à l’arrivée bien fatigué m’a simplement indiqué qu’on avait parcouru cent vingt kilomètres.
Ça ne m’a fait ni chaud ni froid.

Just, I did it.

Deuxième temps

Plusieurs décennies plus tard, cette année pour tout dire, rentré plus tôt que prévu d’une semaine de vacances je m’interrogeai sur ce jour d’oisiveté en me disant que je pourrai télé-travailler. C’est la fin mars, le soleil est là. Le temps de gérer quelques contingences domestiques, il est midi, et je me dis que bon on va y aller, que ça doit pas être si terrible que ça.

NDLR : t’as noté l’hommage à René Goscinny et Sempé ?

J’enfile le cuissard, rempli deux gourdes et pris trois barres. Les chaussures sont juste serrées comme il faut.

Au premier appui sur la pédale dans ma rue, comme à chaque fois, j’ai l’impression que c’est dur. Ça disparait au bout de la rue. Je traverse la ville jusqu’au port du canal.
Ce sera un aller retour sur chemin de halage. Il est parfaitement bitumé au moins à la sortie de la ville.
Un aller retour ça signifie qu’au plus loin que tu vas, il faut pouvoir revenir. Il n’y a pas d’alternative pratique comme un réseau ferré, et je me vois mal un après midi de semaine appeler quiconque à la rescousse en cas de défaillance.
J’angoisse pour les apnéistes à poids constant et j’aimerai tellement savoir quand ils savent que c’est le moment de remonter.

Je retiens mon souffle sur les premiers tour de canal.

Il n’y a personne d’autre que les canards et les hérons qui s’envolent à mon passage.
Je file, vite, c’est plat, tout droit, tout lisse. La température est idéale, pas un souffle de vent. Les vingt premiers kilomètres si souvent parcourus ne me rappellent que les fois où un peu fatigués on préfère passer par là pour rentrer après des heures de cailloux, de bosses et de sous bois.

A trente kilomètres, un aménagement touristique se présente. J’appuie le vélo sur la borne informative qui raconte l’histoire du lieu, et mange une barre en en pratiquant un scanner introspectif. Mollets, cuisses, dos, nuque, coude et bras. Tout est ok. Mais je sais que cela ne me renseigne en rien. C’est la distance aller retour, que je pratique en vélotaf. Et en voyage on fait souvent plus du double.

A l’approche des cinquante, je m’arrête un instant pour vérifier la petite raquette que j’ai prévu pour entamer le chemin du retour. Je ne vais quand même pas arriver au cinquantième kilomètre, descendre du vélo, le retourner et repartir comme un vulgaire RER. Non mais.

Le canal quitté ça monte très ferme sur trois kilomètres, et c’est là que je prends conscience de l’énergie dépensée et des cuisses entamées sans qu’elles ne se manifestent. Bref j’ai beau avoir envie d’appuyer, ça ne suit pas. Une angoisse m’étreint. Vais je pouvoir rentrer sur mes roues.

Le village, un des plus beaux de France nous dit-on, est atteint, j’en fais le tour, immortalise mon vélo au point de vue, et passe devant un salon de thé de délices. Je craque pour une délicat café gourmand. Je me refais la cerise comme on dit, ou plus exactement je mange celle au dessus du gâteau.

Je repars. Le début ça va être facile puisque ça redescend. Dis toi bien ami lecteur que ça n’est fini que quand c’est vraiment fini. Ça descend bien en effet à la sortie du village, mais il y a un satané petit vallon à passer. Moins raide que le premier certes, mais faut le passer. Par chance, un troupeau de jolies vaches paissent à la moitié de la montée. Parfait alibi pour poser pied à terre. Je prends ma photo. Et repars aussitôt. Il n’est pas tard, je n’ai pas de contrainte horaire, mais je commence à calculer l’heure d’arrivée. Fin mars la nuit tombe tôt et le froid avec. Je le sens bien dans la longue descente qui me ramène au canal un peu plus en aval de là où je l’ai quitté.

Posé sur les aerobar, c’est reparti, et je reprends un rythme équivalent aux premiers tours de roues. En fait ça descend. Très faiblement, trois cents mètres sur cinquante kilomètres, soit zero virgule six pourcent en moyenne, mais ça descend. Avec des mini pentes aux écluses qui relancent l’allure sans efforts.
Je repasse le lieu du pique nique du plus loin que je n’avais été sur le canal à trente kilomètres de l’arrivée. Le soleil est déjà bien descendu mais il reste du temps avant la nuit. Ce n’est pas que je suis vraiment fatigué, mais je m’accorde à vingt kilomètres du but une plus longue pause pour savourer en anticipation. Ça va le faire, c’est sûr. Même avec un gros coup de mou, j’irai au bout. Je l’ai tant fait à l’agonie après des sorties sans concession en VTT. C’était il y a vingt ans. J’en ai toujours cinq dans la tête.

Le canal s’est peuplé de sportifs du soir, à roller en lycra et en groupe. J’en dépasse quelques un, prends quelques temps la roue d’autres. Je regarde mon compteur avec effroi. Si je rentre directement j’arriverai à quatre vingt quinze. Là non, ce n’est pas possible, et quitte le canal pour rejoindre plus bas la rivière qui l’alimente, je pousse jusqu’à l’Atelier de Benoit qui y sera peut être en fin de journée. Il n’est pas là. La remontée vers le canal me chauffe à peine les cuisses. C’est le lac, le port, l’entrée dans la ville. Je suis empli de bonheur intérieur.

Même pas mal pour monter les trois étages jusqu’à la maison.

I did it.

Troisième temps

Le train train quotidien reprend, bureau, télétravail, Brompton et TGV.

Il s’annonce sur les réseaux les longues virées et les agendas se calent. Aucune dates ne coïncident avec mes disponibilités et de toute façon j’ai l’esprit tout occupé à une fête qu’on prépare en secret pour quelqu’un que beaucoup aiment, et moi je pense bien plus qu’eux.

Par un message court, Brice annonce qu’il irait bien à l’USSR, mais que ça fait pas beaucoup et qu’il partirait bien de beaucoup plus loin deux jours plus tôt. L’USSR c’est cent kilomètres de nuit partant d’Amiens jusqu’à la baie de Somme au lever du soleil le jour du solstice.

Brice et Bahn cam prévoient de prendre le train pour se rapprocher parce que de chez lui, en deux jours, jusqu’à Amiens, c’est un surhomme et l’autre son surchien mais bon quand même ça fait vraiment beaucoup. On est pas venu là pour souffrir, ok.

La gare de départ, c’est celle qui est à cinq minutes de chez moi. Erwan et Vivien répondent présents. Je demande si je peux me joindre.

Je n’irai pas jusqu’à Amiens c’est sûr ni à la sunrise, je suis pris le week end. Le départ c’est le jeudi et vérifie mon agenda. Rien qui ne puisse être déplaçable ou je me crois être indispensable. On ne l’est jamais et pose deux jours.

Je m’étais donné l’envie d’aller à Paris en deux jours. Sans me fixer d’échéances. La barre est bien plus haute qu’une longue après midi sur le canal. Et j’avais remis à plus tard l’organisation de l’épopée.

Maintenant je ne peux plus reculer. On a fait la fête secrète toute la semaine, une semaine avant le départ. Et tout entier à celle qu’on célébrait, je n’ai pas pensé une minute à ce qui m’attendait. Je n’ai pas fait de vélo non plus.

Deux jours avant, pour vérifier le vélo et le bonhomme, je pars sur le début de parcours. En local de l’étape j’ai proposé un ajustement des premiers kilomètres de la trace, et je vais les faire comme un faux départ. C’est la seule vraie montée du parcours et ensuite à l’échelle de la distance totale on a l’impression que ça descend. Ça va, ça monte. Pas vite, pas vite du tout, et je me dis qu’à ce rythme, au tout début du parcours il vont me prendre pour un boulet, et comment ils vont pouvoir m’emmener au bout. Après, il parait que ça descend ça devrait aller mieux. Enfin espérons. J’ai quand même un peu peur.

Deux jours fébriles de peurs en tous genres. Je dormirai les deux heures de plus du train qu’ils prendront avant de pédaler. Vivien a finalement du venir la veille pour des histoires de correspondances pas commodes et j’insiste pour qu’il vienne diner. Je partage mes doutes, mon inexpérience. Il est rassurant.
Et l’assure qu’en cas de difficultés je ne les retarderai pas et trouverait ma solution de repli. Il n’y en a pas beaucoup en fait sur la trace préparée, mais bon s’il faut, il faut.

Ils arrivent, on range les vélos et on remonte pour un copieux petit déjeuner. Sans trop tarder, enfin on part. Je suis concentré et c’est bien le seul moment où je serai devant, je les guide à travers la ville, sur la coulée verte le long de la rivière, on contourne le lac, on emprunte le chemin entre les jardins ouvriers et les pif paf des ruelles étroites du village. Leur garmin font des bip bip. On tourne à droite devant la pente. Et là forcément, on encliquette tous un peu plus à gauche, et ça part devant moi à un rythme que je ne saurai jamais soutenir.

C’est presque la fin juin. On ne parle pas encore vraiment de canicule comme on le fera l’été qui vient mais ça y ressemble déjà vraiment beaucoup. Il est dix heures et il fait déjà chaud. La pente serpente sous un presque couvert ombragé. J’ai chaud, qu’en sera-t-il à quinze heures avec les plus de trente degrés annoncés.

Vivien se laisse glisser à mon coté, et pédale à ma vitesse. Je me confonds d’excuse, demande pardon. J’arrive à parler normalement et ça me rassure en me disant que je ne suis pas déjà dans la zone rouge. Avant la fin du premier ressaut, Brice et Erwan ont ralenti et on les rejoint sans qu’ils aient à poser pied à terre. Une longue courbe en descente où mon poids et mon vélo merveilleux me font passer devant et ça remonte un peu. Je suis immédiatement derrière au même rythme qu’avant. On est en plein champ, et je les vois partir vraiment loin devant. Au moment ou je les rejoins ils ont largement le temps de se poser et Banh Cam à même sorti ses jouets.

Je ne m’arrête pas et retrouve maintenant un peu de cadence et de vitesse et nous pouvons rouler en peloton. Je ferme la marche. Jusqu’à la fin. Mais je suis, et abrité derrière le grand gabarit d’Erwan ça va tout bien. L’effort est juste au bon niveau.

Les kilomètres défilent, on papote, on se raconte, on s’instruit. C’est plaisant. Je suis avide du savoir qu’ils détiennent de la longue distance. Les choix sont simples dans leurs options, pas évidents dans leur exécution. Tu roules vite, tu t’arrêtes plus et ou plus longtemps, ou tu roules plus longtemps moins vite et tu fais moins de pauses ou plus courtes.

Mon choix est vite fait, je sens bien que rouler plus vite ne va pas être possible.

Il fait chaud, et les gourdes se vident. Il n’y a que des champs sur cette trace et des village endormis sans un commerce. Les cartes n’indiquent quasiment aucun point d’eau. On pense éventuellement à une vraie pause où se restaurer pleinement. On tente un premier robinet rouillé qui m’offre une pause sans que cela ne remplisse nos gourdes. On calcule le premier village avec des commerces. Je me dit bien naïf qu’à notre rythme on arrivera une demi heure avant son ouverture et que c’est ballot on va perdre du temps à attendre. Je suis bien naïf.

On repart vers le mirage suivant. Et celui là il a intérêt à être vrai parce que là, il faut vraiment qu’on remplisse. Je les sens pas plus inquiets que moi. Donc ça va. Le village est aussi mort que les autres. Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu d’arbre. La postier à garé sa fourgonnette à l’ombre d’un mur et délivre ses missives. Non, il ne connait pas de point d’eau public dans le village. Aïe.

Mais le maire habite là dans la maison juste derrière et lui doit savoir.
On sonne au portail, et il nous pointe du doigt le muret de la mairie d’où un robinet est caché par le massif de fleurs.
Il crache presque autant qu’une borne de pompiers ce qui fait qu’on s’arrose avec, et on vide un bidon avant de le re-remplir. Banh cam sort encore ses jouets avant de boire elle aussi.
On reste un moment à l’oasice, mais l’heure tourne, il faudra qu’on s’arrête vraiment à la superette pour faire le plein de solides et les ingurgiter.

Je ne manquerai pas, quelques jours plus tard de cartographier la source non référencée comme on rajoute sa pierre au cairn pour que les suivants ne se perdent pas.

On arrive devant la supérette cinq minutes avant son ouverture. Les employées s’y affairent et nous ouvrent les portes. Après ces heures à n’entendre que le vent de la vitesse et parfois le cliquetis des roues libres, nos cales font des claquettes dans tous les rayons où chacun se hâte pour trouver ce qui lui fera plaisir. Brice demande si quelqu’un mangera des yaourts et en prend quatre.

On redescend au village où on a repéré le bistrot dont l’orientation de la terrasse sur la route la met à l’ombre. Le tenancier nous laisse pique niquer et nous apporte les sodas bien frais. On mange tout, et alors que déjà plein, j’accepte le yaourt que j’avale goulument. On remplit les gourdes d’eau fraiche. On a pas mal avancé semble-t-il mais il y en a encore soixante dix à enquiller et il est seize heures.

On repart, on repapote, on se reraconte on se réinstruit.
Les garmin préviennent des changements de direction jusqu’au doute.
On s’arrête, y a deux options. On ne traine pas pour choisir. Ce n’est pas une pause et ça repart.

J’ai l’impression d’aller à la même vitesse, mais je vois bien qu’ils s’éloignent devant, les jambes vont bien sans mollesse, mais ça ne suit pas. Des relents du yaourt massent mon ventre avant que je n’éructe et ça devient dur d’avancer.
Oulà mince, suis je à ma limite ? On vient de passer les cent et je suis bien moins en forme que la dernière fois. Je pioche un peu.

Je ne les vois plus à l’horizon. Et je dois vérifier la trace pour savoir où tourner.
On verra bien. Quand je les rejoint, je me rends compte qu’ils doivent être là depuis un moment parce que je les vois bizarrement tournoyer. Banh cam a égaré ses jouets dans le champs et ils les cherchent avec elle.

Je ralentis, ne m’arrête pas et leur crie que je continue tranquille. Un signe d’approbation de la main et ils repartent à la chasse au trésor.
Il ne faudra pas longtemps avant qu’ils ne me re-dépassent mais ajustent cette fois leur rythme au mien. Oui ça va, je pioche un peu leur dis-je, je crois que j’ai trop mangé. Le yaourt il veut ressortir par le haut.

Je vais mieux au bout d’une heure, le yaourt est resté à sa place, et je crois que j’ai repris un rythme plus nominal.

Les pilotes s’interrogent sur l’ETA. Les instruments de bord indiquent vingt heures trente. Je refais le calcul et arrive à la conclusion que ce sera plutôt vingt et une heure. Pour le gîte pas de soucis, mais pour le diner à la pizzeria c’est juste juste.

On a eu chaud très chaud. Bien que le soleil soit encore haut, il descend. La température aussi sensiblement. J’ai beau avoir bien plus que jamais parcouru d’une traite dans les pattes, je me sens mieux, à l’aise. Mal nul part. On roule plus vite, pas beaucoup, mais plus vite.

Vivien part devant, le peloton lui accorde l’échappée, on le retrouvera au resto.
C’est l’arrivée à l’étape, dans le village et le dans le dernier virage on pourrait sprinter.

Brice, me dit que pour vingt bornes de plus j’aurai pu faire mon premier deux cent. A ce moment là, je me dis que c’est possible. Une heure de plus. Ça me semble jouable même avant la nuit.
Il est vingt heures trente l’heure annoncée. Et il y a demain.
En bon PNC, à l’annonce du dernier virage je déclipse la pédale et me laisse glisser jusqu’à l’entrée du gite.

On pose tout vite fait, et on se rend à pied la pizzeria où Vivien nous attend.
Une énorme glace en dessert. Je suis heureux, et les remercie de leur patience.
J’appelle à la maison pour rassurer et partager mon bonheur.

Retour au gite, où des minuscules sacoches de selle on extirpe un nombre de trucs incalculables peut être même plus que Mary Poppins.

Il y a un lit en bas, et trois en haut. Je les ai prévenu dans la journée qu’à mon grand âge j’ai le sommeil sonore. Je vous traduis : je ronfle et fort.
A la question, on fait comment pour les couchages, les trois pointent un index martial vers le lit du bas. Toi tu dors là.
Je crois qu’en fait j’étais bien trop fatigué pour même être capable de ronfler.

Au réveil, je m’introspecte, j’ai mal nul part. Il va faire aussi chaud qu’hier et un autre challenge m’attends. Ce sera nettement moins long, mais comment vais je vivre l’enchainement et la fin sans leur aide. Je n’ai pas le temps de réfléchir, déjeuner, pliage et rangement. Nous sommes prêts en même temps. Le départ est deux heures plus tôt qu’hier. Le train en moins. A la fraîche c’est mieux.

On a quitté les longues plaines de champ vides de toute chose vivante et on se retrouve sur une départementale où l’on redécouvre la circulation motorisée. Les villages sont plus grands, plus animés, il y a des boulangeries.

A Nogent, à la traversée de la Seine qui a bien grossi depuis sa source croisée la veille, on se restaure de viennoiseries sous les cheminées de la Centrale nucléaire. Curieuse sensation devant tant d’énergie, pour nous qui nous suffisons de la notre.

Onze heures, on arrive à Provins. C’est pas un temps normal de pause mais comme c’est là que je vais les quitter, on s’attable pour un café d’au revoir.

Aujourd’hui, et bien plus encore qu’à ce moment, je les remercie infiniment de m’avoir guidé dans ce parcours initiatique, d’avoir été patients, encourageants de m’avoir délivré une partie de leur savoir. Ça restera un moment important pour moi, et bien évidemment je leur dédie ce billet.

En mousquetaire solitaire je pars plein ouest, eux toujours vers le nord.

Ils auront le temps de faire une sieste avant le départ de nuit. Et je comprends que les deux cent cinquante kilomètres qu’ils vont faire dans les vingt quatre heures précédés des cent quatre vingt d’hier va les éprouver quand même.

Il m’en reste soixante dix. Pas encore midi. Je les quitte sans peur, avec la certitude que j’irais au bout. Je me prends quand même à visualiser les gares sur ma trace, mais je sens bien que je n’abandonnerai pas si près du but.

J’applique les apprentissages de la veille, sur le rythme, les pauses. Je ne m’arrête vraiment qu’une fois à la boulangerie toujours ouverte avant de me trouver à sec et que les échoppes soient fermées. Il fait chaud, très chaud. Mais le nom des villages de Seine et Marne me sont connus. Et après celui là je connais celui là. Tiens voilà que j’y suis.
Je passe à deux tours de pédalier d’amis dont je sais à coup sûr qu’ils sont là.
L’envie de les saluer me passe car je sais que j’y resterai trop longtemps au risque d’avoir du mal à repartir, et surtout pour ne pas sortir des préceptes de mes maitres de la veille.

Je trouve un coin d’ombre sur un bout de la voie verte des roses avant d’entrer dans l’enfer de la ville. Il y a du bruit, des voitures et des camions partout, je longe la nationale dix neuf et ferme mes écoutilles pour me remémorer ce qui vient de se passer et savourer l’arrivée.

Créteil. Les bidons ne sont pas vides mais pas bien plein. Quinze heures, pleine chaleur. Je dois m’arrêter re-remplir. Surtout ne pas caler si près du but.

Cette fois la source est bien plus visible de loin. La devanture de l’immense boulangerie de cette horrible zone industrielle me crie de m’arrêter.

Une eau gazeuse pleine de minéraux, un soda plein de sucre immédiatement vidés. Deux bouteilles d’eau pour les gourdes, et je repars pour l’arrivée.
J’arrive enfin en des lieux que je fréquente. C’est sûr j’y suis.

Je traverse le parc de Sceaux sous ses grands arbre, longe le canal où trois jeunes poussent leurs vélos d’une main et mange une glace de l’autre.
Je fais comme eux. Je suis arrivé.

I did it.

Epilogue

J’ancre ces trois temps, pleins de mouvements dans ma mémoire et espère déjà aller un peu plus loin.
Il doit m’être possible de le faire dans une journée.
Des horizons infinis se dévoilent et quand je visualise la carte, traverser la France en quelques jours rentre dans la catégorie du possible. Pas le Paris Brest Paris que fait l’ami Philippe, mais pas si loin.

Je rêve en spottant les coureurs d’ultra en imaginant l’étape d’après. Pas en course, mais quand même.

Et puis aux vacances, nous repartons avec notre petit barda sur des duretés de journées qu’on connait bien. L’année a été éprouvante, on ne va pas se faire mal pour rien. Entre cinquante et soixante dix kilomètres, un peu de dénivelé quand même seront le juste équilibre. J’arriverai fatigué chaque soir, confrontant mes fantasmes à la réalité de l’activité avec le secret espoir et la folle envie d’y retourner.

D’où que vous partiez, que vous en fassiez trente, cinquante ou cent cinquante kilomètres je vous fais un salut amical, vous souhaite bonne route, et je file parce que je vais juste un peu plus loin.

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Dans les limbes
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