Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 47)
Le flow
Il y a dans la magie du vélo le bonheur ineffable de se laisser glisser sur l’élan. Pas seulement celui de la longue descente où ayant cessé de pédaler, le cœur ne tapant plus la poitrine et les cuisses ne brûlant plus tu laisses le vent apparent te fouetter le visage.
Celui d’arriver à l’intersection avec son feu rougi pour n’empoigner les freins que par réflexe alors que tu es déjà parfaitement immobile. Tu auras vu au loin la séquence de feux se dérouler pour ne pas s’entêter à forcer sans succès le passage. La cadence ralentie, l’effort sur les pédales coupé et comme un oiseau aller se poser sans heurts. Au delà de la sensation tu auras l’intense satisfaction de ne pas avoir à gaspiller ta précieuse énergie en la dissipant dans tes patins ou tes plaquettes. L’effort juste, précis, élégant est le comble du raffinement qui impressionnera le béotien. Si par ailleurs ta maîtrise est parfaite, la séquence adaptée, tu te relanceras sans même avoir à poser un pied. Tu restes, un fragment de seconde à l’arrêt, trônant nonchalant sur ta selle et te relances dignement. Tu dépasseras en les toisant tes congénères abrutis qui s’arrêtent après le passage protégé presque au milieu du carrefour.
J’ai été tenté de troquer le cintre plat pour un drop sur ma randonneuse du quotidien pensant aller plus vite. Je m’en suis gardé et bien au contraire j’ai opté pour un guidon plus galbé qui me redresse comme les bataves et pose plus naturellement le regard au loin sans tordre les cervicales. J’arrive bien plus tôt qu’avant.
Bien sûr, c’est sur le plat que tu appréhenderas le mieux la fluidité de ton vélo, que tu sentiras le grain et la planéité de la chaussée, t’apprenant progressivement à arriver à l’endroit souhaité avec une vitesse nulle.
Or tu pourras l’expérimenter aussi en montée et même sur des chemins. Tu te concentreras sur ce qui se passe derrière toi. L’accroche de ton boudin sur le terrain changeant, la chaîne maintenue à une tension constante quelle que soit la variation d’adhérence ou de pente. Sur le couple diront les experts. A la limite du décrochage sans jamais la dépasser. Malgré la difficulté, la puissance que tu passes dans la pédale se transforme intégralement en mouvement sans pertes.
Le graal c’est le single de terre souple qui serpente entre les arbres. Quand il est exempt de racines ou de pierres tu navigues sur un tapis souple avec une vitesse constante, la plus haute possible sans avoir à toucher les freins. A peine tu délestes la charge à l’amorce du virage, tu places la bonne pédale sur l’avant, tu balances de tes reins l’arrière et de tes bras tu pousses le guidon pour coucher le vélo en te gardant vertical. Pas encore sorti du virage tu reprends l’appui que déjà l’autre courbe arrive. Ça s’enchaine comme une salsa, tes hanches chaloupent et tu te laisses griser en élevant le rythme. Ta playlist t’accompagnes avec une mélodie romantique que tu te passeras en boucle. Quand tu sors du sous bois pour rejoindre le long chemin rectiligne de bord de champ où tu te recentres en accélérant, en t’abaissant pour mieux pénétrer l’air, tu sens encore l’extase de l’instant d’avant. Tu cherches au loin le prochain bosquet pour recommencer, les oreilles pleines de Heavy metal.
C’est là je crois que j’excelle bien plus que dans les harassantes montées de collines. Que mon plaisir se transforme en bonheur durable.
Je vous aurai bien conseillé de travailler l’expérience, mais au fond si vous préférez freiner et relancer sans cesse, vous faites bien comme vous voulez. Je file, j’ai de nouveaux terrains de jeu à tracer.