Une bouteille à la mer

Dans les limbes
3 min readApr 17, 2020

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Journal de confinement

Hello all, ravi d’avoir de vos nouvelles et de savoir que tout va bien pour vous.

Quand à moi, je suis Bernard Moitessier. Ce navigateur qui partant pour la première course autour du monde par les trois caps en solitaire et sans assistance, décide alors qu’il est en tête au cap de Bonne espérance, de ne pas remonter vers le Nord, et file vers le Pacifique pour sauver son âme.

Le cap du premier choc passé, l’inquiétude des très proches sans cesse exposés au risque toujours en arrière plan et désormais supportable au quotidien, je n’attends plus de jeter l’ancre. Un arrêt au mouillage par semaine suffit à l’avitaillement du bateau et du marin. Ce bref retour sur terre est un moment plaisant où je profite d’horizons plus variés que la houle à l’horizon. Il s’accompagne d’un léger mal de terre qui disparaît dès que je reviens à bord.

Le bateau se révèle parfaitement adapté pour ce voyage au très long cours. Nous l’avions en grande partie caréné l’hiver dernier et je me félicite de sa nouvelle cambuse. Les premières semaines de mer, entre deux coups de vents, je me suis obstinément assuré de son état en brossant méthodiquement chaque latte du pont de teck. Il est fin prêt. De mes vies précédentes, cette situation de solitude ne m’est pas étrangère et me suffisent des rares compagnons de voyages qui ne restent jamais longtemps le long de la coque du bateau. Du hublot, j’admire les dauphins ou les albatros qui me survolent.

Or nous sommes aux XXIième siècle, et contrairement à Bernard Moitessier qui avait refusé de prendre une radio, je dispose du meilleur attirail de navigation et de communication. Depuis mon navire, je poursuis l’animation de ma petite armada dispersée, chacun sur leurs esquifs au milieu de l’océan, m’assurant de la tenue à la mer des embarcations de mes mousses moins expérimentés. Parfois à la rade, nous épuisons nos réserves de Rhum, chacun sur son bateau, la voix quelques fois masquée par la rafale de vent qui survient. On se fait des grands gestes au loin, et même on perd l’équilibre avec nos muscles tétanisés par nos rires.

Je suis un Corsaire, toujours, et ne peut m’empêcher d’inciter quelques autres bateaux à se hasarder dans les courants interdits. Certains, loin du regard inquisiteurs de leur amiraux me font le plaisir de me suivre et jouir avec moi des orthodromies aussi efficaces que peu orthodoxes. On arrive même en partir en flotte coordonnées et je revis les émotions d’autrefois.

Si un jour vous trouvez ce message dérivant dans un bouteille de rhum vidée avec plaisir par son auteur, dites vous qu’il pense bien à vous, vous souhaite de rester en bonne forme, de se souvenir chaque instant comme une chance et un bonheur.

Ohé, et une bouteille de Rhum !

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