Le vélo est le nouveau romantisme (Ep. 33)

Dans les limbes
6 min readMar 25, 2021

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La transmission

J’ai écrit avec un stylo à piston. Quand le réservoir était vide, on débouchait le flacon en verre aux facettes de diamant, puis la plume au dessus, on tournait l’arrière du stylo, et la plume plongée dans l’encre, l’aspiration du précieux liquide s’effectuait en tournant dans l’autre sens. On ne manquait pas de s’en mettre un peu sur les doigts qu’on asséchait sur le buvard. Aujourd’hui, je reprends le clavier.

Aux aficionados du clivage SRAM / Shimano alléchés par le titre, ne m’en veuillez pas de la duperie facile pour faire monter mes statistiques de lecture. Ce billet est tout autre. Si vous n’arrivez pas à surmonter votre déception, retournez lire l’épisode 24, et revenez ici après avoir été rassasiés de technologie.

Le #Velotaf n’est plus ce qu’il était (Avis de décès, le vélotaf est mort) et si les voies sont de plus en plus cyclables, leurs occupants endormis par les opportunistes marchands consomment cette nouvelle mobilité avec l’apparition de nouveaux codes du hype. On en voit reproduire leur comportements d’autosolistes, de scootards fumants et bruyants.

De ces rares journées où, respectant les consignes sanitaires, je me rends néanmoins au bureau, j’ai choisi de partir particulièrement tôt. C’est l’assurance de ne pas être dans le flux frénétique des commuters de la banlieue parisienne. Je m’offre même le luxe d’emprunter à l’aller ma coulée verte avec la certitude que j’y roulerai à mon rythme.

J’ai pris la randonneuse pour enfin essayer ce nouveau guidon.

Comme à l’habitude je salue le château. Aucun cycliste ne passe le temps de la pose. Hier, dans le TGV qui me ramenait à Paris, je compensai le manque de pédalage à l’écoute des podcasts de https://twitter.com/BilookVT.
Chacun y raconte son histoire, ses anecdotes et devise avec la voix chaude et enjouée de Bilook. J’ai ressenti le besoin de poursuivre.

Ce matin donc avec la piste pour moi seul, sans courir le risque d’importuner, j’ai placé mon téléphone sur le support de guidon, activé le haut parleur, et pris le temps d’écouter le podcast d’une autre émission de la veille tout en roulant.

Jérôme Sorrel a reçu, pour la centième de l’émission dont il a repris le micro, le “papy du vélo”, et premier animateur de ladite émission. (ça s’écoute là)
Pédalant tranquillement je me suis laissé emmener dans des contextes historiques anciens, dans un équilibre des forces, des motifs qui ont évolué avec les décennies, comment les histoires personnelles façonnent les mouvements collectifs, les points de bascule entre consommation et engagement.

A l’entrée dans Paris, je me suis souvenu du bout de trottoir avant la bidir de Vercingétorix, je me suis remémoré les rencontres, les échanges qui m’ont façonné dans ce choix de mobilité, ma pratique de vie à vélo.

C’est bien de transmission qu’il s’agit.

Je mets le clavier en pause quelques instants, je ne roule plus régulièrement en vélotaf depuis un six mois, et les sorties VTT retrouvées sur le calcaire mouillé de Bourgogne me réclament bien trop d’attention pour que les mots me viennent. J’en profite néanmoins quand je rejoins les copains à l’agonie après un passage technique pour me laisser conter le gonflage idoine de nos pneus sans chambre à air, leur montage délicat nécessitant débit et pression pour entendre le claquement de la tringle dans sa gorge. Le réglage du sag a été fait avec leur aide, je tente quelques ajustements de position, de suspension à l’écoute et à l’observation de mes comparses qui se font un malin plaisir à filer devant, repartant aussitôt après que je les ai rattrapés.

Le clavier se repose à nouveau, l’envie n’y est pas. La lassitude de ce long jour sans fin m’a gagné. J’ai envie mais cela ne vient pas. Il me faut des vacances où déposer l’esprit, où fatiguer mon corps et mon esprit autrement qu’en visioconférences. Les conditions sont parfaites : pas de malades, Martine est vaccinée, ces enfant sont loin. Je retourne à la montagne, abrupte, blanchie par les chutes de neiges de la semaine d’avant.

J’ai exhumé de la cave les skis de rando, les peaux, les couteaux, les chaussures qui vont dessus. Par chance, j’ai pensé à prévenir ce vieil ami de la vallée qui saura me trouver un moment à partager.

C’est au Tour, un joli tour que nous ferons. Le ciel est bleu, la neige blanche et parfaite, de sa carrière achevée de moniteur, il sait parfaitement ajuster son propre pas qui motive le mien sans m’essouffler. On discute de la montagne, il m’explique ce qu’il y a à voir à respecter dans ces espaces. En l’absence de manège pour touristes à neige, le silence est avec nous. Pas une perche qui claque à son demi tour, pas une roulette qui clingue au passage du siège chargés de ses touristes. Il m’explique comment depuis des décennies il cherche et collecte les toponymies de la vallée et au delà. Tout est minutieusement compulsé dans des carnets, sur les cartes, et il sait qu’il devra les confier pour que ces lieux même inconnus de l’IGN conservent un nom et leur histoire.

Il me tarde de reprendre le vélo, de programmer la longue randonnée d’été. Mettre toute sa maison dans ses sacoches, planter la tente au soir, se délecter d’un frugal repas avant de s’enfiler dans le duvet. Il faut en consulter du monde et du web pour trouver le parcours qui nous fera rêver. Nous avons, de l’expérience des crapahuts en montagne et des rencontres faites sur les chemins, acquis ce qu’il faut de matériel adapté et de savoir faire pour se charger à l’essentiel. Les aguerris croisés au bivouac nous ont montré, nous ont expliqué. Réduisant nos erreurs d’autant, nous faisant gagner du temps et parfois de la souffrance inutile.

Sur ma coulée verte, au soir venu, après la journée de labeur combien de mes semblables ai-je questionné sur leurs curieux équipages. Tous m’ont répondu, m’ont détaillé leurs équipements et ce qu’ils leur apportent. J’engrange ce savoir, le confronte aux plus anciens, en déduis la suite logique qui doit en découler.

Que cela soit à l’atelier mensuel de l’asso, ou à l’asso solidaire dont l’atelier est la raison sociale, on me montre, on m’explique ou tirer la chevillette pour que la bobinette choit. Le choix de l’outil est primordial, et sur les vélos il en est tant de spécifiques et à un seul usage bien loin du multi-tool qui ne fait que dépanner sur la route. Le savoir faire s’acquiert avec l’essai. L’ignorant n’est jamais raillé. Y compris celui qui ne sait pas encore changer sa chambre à air.

La liste est si longue de tous ceux qui m’ont transmis leur expérience, leur savoir, m’ont guidé dans le savoir faire que je m’en voudrai d’en oublier et sombre dans la facilité de ne pas les nommer. J’espère qu’ils se reconnaitront. Qu’ils soient infiniment et éternellement remerciés. Il en va de beaucoup des passions et leurs passionnés que d’avoir le besoin et l’envie de transmettre.

A vélo, depuis bientôt quarante ans que j’agite mes manivelles, jamais au grand jamais n’ai je vu un quidam garder jalousement un secret fusse-t-il celui du grand pédalier. Sur les réseaux, aucun appel à l’aide n’est ignoré, et chacun y va de son conseil toujours avisé.

J’y contribue parfois avec ce que je sais, avec l’humilité de savoir que d’autres savent bien mieux. Les appelle à l’aide pour un problème encore pas rencontré, dont la solution bénéficie évidemment au premier chef au demandeur et dont j’en capte au passage le chemin qui me servira un autre jour.

La transmission se doit d’être toujours entretenue, décrassée, puis luisante de la fine pellicule lubrifiante qui garantie un pédalage harmonieux en silence sans déperdition. Il en va également ainsi de ce que l’on se passe entre humains, pour que rien ne se perde, tout se crée.

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